Ploum.netle blog de Lionel Dricot2024-03-18T20:01:07.370917Zhttps://ploum.net/Ploumhttps://ploum.netLectures : Une société de mensongeshttps://ploum.net/2024-03-15-lectures-mensonges.html2024-03-15T00:00:00Z2024-03-15T00:00:00Z
<h1>Lectures : Une société de mensonges</h1>
<h2 id="soustitre-1">Productivisme</h2>
<p>En lisant ce simplissime et magnifique texte de Bruno Leyval décrivant la condition ouvrière, je ne peux m’empêcher d’avoir « Tranche de vie » de François Béranger en tête. Et de prendre pleinement conscience à quel point le fonctionnement en pause des usines est inhumain.</p>
<ul>
<li><a href="gemini://gemlog.blue/users/brunoleyval/1708774999.gmi">Ouvriers (brunoleyval)</a></li>
</ul>
<p>Le travail de nuit est nécessaire pour plein de raisons : la santé, la sécurité, l’aide aux personnes. Ou bien dans l’agriculture, dans le soin de tout ce qui est vivant, des plantes aux animaux. Mais que dire du fait qu’on force des humains à travailler de nuit et se détruire irrémédiablement la santé pour fabriquer des bagnoles ou empaqueter des petits pois dont personne ne voudrait s’il n’y avait pas ce matraquage incessant du marketing ? Qui est ce « on » qui force ? Les patrons ? Les politiciens ? Ou nous-mêmes, les consommateurs ?</p>
<h2 id="soustitre-2">Surveillance généralisée</h2>
<p>Les caméras de surveillance partout, ça ne peut pas faire de tort, hein ? Y compris dans les distributeurs automatiques. Et puis voilà qu’à cause d’un bug, la population étudiante d’une université canadienne découvre que les vendeurs automatiques de chocolats font de la reconnaissance faciale. Le visage de chaque client est scanné, à son insu, et des statistiques sur l’âge, le genre et potentiellement plein d’autres choses sont envoyées au département marketing. Afin de nous vendre les merdes produites par les travailleurs passant leurs nuits sur des chaînes de production.</p>
<ul>
<li><a href="https://hackaday.com/2024/02/27/big-candy-is-watching-you-facial-recognition-in-vending-machines-upsets-university/">Big Candy Is Watching You: Facial Recognition In Vending Machines Upsets University (hackaday.com)</a></li>
</ul>
<p>La question qui se pose : mais qui a accès à ces millions de données qui sont capturées autour de nous en permanence, que ce soit par notre montre, notre voiture, une caméra de surveillance ou un distributeur de boissons ?</p>
<p>Aram Sinnreich et Jesse Gilbert ont trouvé la réponse. Elle est simple : tout le monde. Il suffit de payer et ce n’est vraiment pas très cher.</p>
<ul>
<li><a href="https://www.rollingstone.com/culture/culture-features/data-brokers-trump-tech-spying-privacy-threat-1234897098/">Spying on Trump's Mar-a-Lago Club Was Easy. Is Your Privacy Safe? (www.rollingstone.com)</a></li>
</ul>
<p>Et même si vous n’avez aucun engin connecté, que vous faites très attention, aux États-Unis il est possible d’acheter les données concernant toutes les personnes se rendant à une adresse. Votre maison par exemple. Et savoir d’où elles viennent. Quel est leur niveau de vie.</p>
<p>Mais, dans ce cas-ci, le fabriquant du distributeur tente de rassurer : la machine respecte les lois, y compris le RGPD européen. </p>
<p>En fait, non. Le RGPD ne permet pas le scan de visage sans consentement. Mais si l’entreprise dit respecter le RGPD, qui ira vérifier ? Et comment vérifier ?</p>
<p>En utilisant le RGPD, j’ai fait effacer plus de 300 comptes en ligne à mon nom (ça m’a pris trois ans). Après plusieurs années, certains comptes soi-disant effacés ont recommencé à m’envoyer des « newsletters ». Donc, en fait, rien n’était effacé du tout. Mention spéciale au restaurant de sushis qui avait remplacé mon login "ploum" par "deleted_ploum" et prétendait que tout était effacé alors que j’avais encore accès au compte via le cookie de mon ordinateur. Ou le site d’immobilier qui a soudainement commencé à m’envoyer journalièrement les résultats d’une recherche que j’avais enregistrée… il y a 10 ans ! (et je ne pouvais pas me désinscrire vu que j’avais officiellement effacé mon compte depuis plus de deux ans).</p>
<p>Le marketing est, par définition, du mensonge. Les gens travaillant dans le marketing sont des menteurs. Dans les écoles de marketing, on apprend à mentir, le plus outrageusement possible. Tout ce qu’ils disent doit être considéré comme un mensonge. Nous sommes entourés d’un nuage de mensonges. Toute notre société est construite sur le rejet de toute forme de vérité.</p>
<p>Lorsqu’un menteur est pris en flagrant délit, ce n’est pas le mensonge détecté le problème. C’est, au contraire de réaliser tous les autres mensonges que nous n’avons jamais détectés.</p>
<h2 id="soustitre-3">Les hallucinations de Turing</h2>
<p>Le test de Turing dit qu’une intelligence artificielle est véritablement intelligente si on ne peut pas distinguer ce qu’elle écrit de ce qu’écrirait un humain. Turing n’avait pas envisagé que l’immense majorité des écrits humains seraient des piles de mensonges produits par des départements marketing. Dans tout ce débat, ce qui m’impressionne n’est pas tellement l’intelligence de nos ordinateurs, mais la bêtise humaine…</p>
<ul>
<li><a href="https://www.cst.cam.ac.uk/blog/afb21/oops-we-automated-bullshit">Oops! We Automated Bullshit. (www.cst.cam.ac.uk)</a></li>
</ul>
<p>Ce n’est même pas caché. Quand un journaliste de The Verge fait un article pour dire qu’une imprimante fonctionne bien (parce qu’elle imprime et pis c’est tout, ce qui est un truc de dingue dans le monde moderne), il est obligé de rajouter, de son propre aveu, du bullshit généré par ChatGPT afin que l’article paraisse sérieux aux yeux de Google. Lui, il le reconnait et préviens de ne pas lire. Mais pour un article comme cela, combien ne le disent pas ?</p>
<ul>
<li><a href="https://www.theverge.com/23642073/best-printer-2023-brother-laser-wi-fi-its-fine">Best printer 2023: just buy this Brother laser printer everyone has, it’s fine (www.theverge.com)</a></li>
</ul>
<p>Les modèles de langage larges (LLM) sont condamnés à « halluciner », le terme politiquement correct pour « raconter absolument n’importe quoi ». Exactement comme les départements marketing. Ou comme les religions ou n’importe quelle superstition. L’être humain a une propension à aimer le grand n’importe quoi et à y trouver un sens arbitraire (c’est le phénomène de paréidolie, qui permet notamment de voir des formes dans les nuages).</p>
<p>Donc, ma question : vous espériez quoi, très sincèrement, des intelligences artificielles ?</p>
<h2 id="soustitre-4">Les mensonges que nous nous racontons</h2>
<p>Et vous espérez quoi de l’humanité ? Non seulement nous passons notre temps à nous mentir, mais à « débattre » nos propres actions qui ne devraient même pas être discutables.</p>
<p>Allez, je vous donne un exemple de comportement que nous trouvons « normal » simplement parce que nous sommes trop crétins pour dire aux marketeux qu’ils sont de dangereux menteurs psychopathes et que donc, on se dit qu’ils ne doivent pas avoir toujours complètement tort.</p>
<blockquote> Oui, je veux sauver la planète ! Chaque jour, je prends sur mon salaire pour faire un don de dix ou vingt euros à une énorme organisation multinationale qui fait travailler les enfants dans des conditions horribles et qui est responsable de près de 1% de toutes les émissions de CO2 de la planète. Sans compter les polluants : je participe chaque jour à l’une des plus importantes sources de pollution des nappes phréatiques et des océans.<br> <br> C’est pour ça que je les soutiens chaque jour. Ça me coûte cher, mais je continue ! Et en les soutenant, je participe à tuer 8 millions de personnes chaque année, à causer 50x plus de cancers en France que n’importe quelle autre pollution et je participe activement à empirer toutes les maladies respiratoires dans mon entourage, surtout les plus jeunes.<br> <br> Bref, je fume.<br> <br> En plus, je pue. Je dérange tout le monde, mais personne n’ose me le dire, car c’est « ma liberté ». Les non-fumeurs sont tellement bien élevés, ils n’osent pas me dire que, si, ça les dérange que je m’en grille un. Alors, j’emmerde les non-fumeurs, j’emmerde les asthmatiques, j’emmerde la planète, car fumer, c’est ma liberté. Donner mon argent à l’une des entreprises les plus polluantes du monde, c’est ma liberté. Rendre asthmatiques mes enfants, c’est ma liberté. D’ailleurs, je vais manifester pour le climat en m’en grillant une !<br></blockquote>
<ul>
<li><a href="https://exposetobacco.org/news/effects-of-tobacco-on-environment/">We Need to Talk About Tobacco and the Environment (exposetobacco.org)</a></li>
<li><a href="https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/tobacco">Tabac sur le site de l’OMS (www.who.int)</a></li>
</ul>
<p>Le tabac est un exemple très symptomatique : il est hyper dangereux, hyper polluant, hyper nocif y compris pour les non-fumeurs et n’a aucune justification pratique. Aucune, zéro, nada. L’interdiction de la vente de tabac aux jeunes ne devrait même pas être discutable. L’interdiction de fumer à moins de cent mètres d’un mineur devrait vous paraître une évidence. </p>
<p>Ce n’est pas le cas. Et beaucoup trouvent que simplement dire à un fumeur « tu pues, tu m’empestes » c’est « pas très respectueux », mais que se taper une crise d’asthme ou un cancer de tabagisme passif, c’est « normal ». Socialement, je ne comprends pas comment on ne considère pas un type qui allume une clope en public comme quelqu’un qui enlève son pantalon et se met à déféquer au milieu de la rue : comme un gros dégueulasse qui n’a aucune éducation et qui empeste son environnement (avec la différence que la merde n’est pas cancérigène).</p>
<p>Pour mettre en rapport, le tabac c’est trois crises du COVID chaque année. Rien que les morts annuels du tabagisme passif sont au même niveau que les victimes du COVID. Mais, contrairement au COVID, on ne prend aucune mesure alors que celles-ci sont faciles et évidentes. Pire, on encourage activement notre jeunesse à fumer !</p>
<p>Il faut en déduire que tant qu’on tolère la vente et la fumée dans l’espace public, c’est qu’on n’a pas envie de sauver la planète ni la vie des humains. Voilà, au moins les choses sont claires. Ce n’est pas qu’on ne peut pas. On ne veut pas. Point. C’est bon ? On peut arrêter de faire semblant et détacher les capuchons des bouteilles en plastique ?</p>
<div class="signature"><p>Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.</p>
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</div>
Ploumhttps://ploum.netLectures : petite écologie de l’éducation et de l’informatiquehttps://ploum.net/2024-03-05-lectures-education-informatique-ecologie.html2024-03-05T00:00:00Z2024-03-05T00:00:00Z
<h1>Lectures : petite écologie de l’éducation et de l’informatique</h1>
<h2 id="soustitre-1">De l’importance de l’écriture manuelle</h2>
<p>L’écriture à la main, que ce soit avec un stylo, un crayon, un marqueur ou ce que vous voulez est une étape primordiale dans le développement du cerveau et dans la compréhension future de la langue écrite.</p>
<ul>
<li><a href="https://www.frontiersin.org/journals/psychology/articles/10.3389/fpsyg.2023.1219945/full">Handwriting but not typewriting leads to widespread brain connectivity: a high-density EEG study with implications for the classroom (www.frontiersin.org)</a></li>
</ul>
<p>La littérature à ce sujet semble unanime, mais l’étude suscitée va encore plus loin en mesurant l’activité neuronale lors de l’écriture à la main ou avec un clavier. Il n’y a pas photo : l’apprentissage de l’écriture se fait donc d’abord, et c’est essentiel, en écrivant à la main et en déchiffrant différentes écritures.</p>
<p>Ensuite, si l’outil informatique vous intéresse, je conseille très fortement d’apprendre la dactylographie. Cela ne demande que quelques semaines d’efforts et cela change complètement l’interaction avec un ordinateur. Pour rappel, la dactylographie sur un clavier se base sur deux principes fondamentaux :</p>
<p>Premièrement, chaque touche correspond à un doigt particulier. On n’utilise pas les doigts au hasard.</p>
<p>Deuxièmement, la dactylographie doit impérativement s’apprendre à l’aveugle. Il ne s’agit pas de connaître par cœur la disposition du clavier ou de la visualiser. Il s’agit de créer un réflexe musculaire, un mouvement d’un doigt particulier pour chaque lettre.</p>
<p>C’est comme ça que j’ai appris à taper en Bépo et c’est, je pense, le meilleur investissement en temps que j’aie jamais fait de toute ma vie. Le fait de taper à l’aveugle et au rythme de ma pensée a transformé l’écriture en une véritable extension de mon cerveau. Je n’écris pas ce à quoi je réfléchis, mes pensées se contentent d’apparaitre sur l’écran.</p>
<ul>
<li><a href="/216-le-bepo-sur-le-bout-des-doigts/index.html">Le bépo sur le bout des doigts (ploum.net)</a></li>
</ul>
<p>Je tape tout en Bépo dans Vim car Vim me permet d’étendre les automatismes dactylographiques aux actions sur le texte lui-même : se déplacer, supprimer, remplacer, copier-coller. Mes enfants sont peut-être encore jeunes pour se mettre à Vim, mais si jamais une envie de Vim (une envim quoi) vous titille, je vous conseille le court manuel de Vincent Jousse.</p>
<ul>
<li><a href="https://vimebook.com/fr">Vim pour les humains (vimebook.com)</a></li>
</ul>
<h2 id="soustitre-2">Digitalisation de l’éducation</h2>
<p>La « digitalisation » à l’aveugle des salles de classe est une hérésie absolue. Surtout que l’immense majorité des professeurs sont complètement incompétents en informatique et ne comprennent pas eux-mêmes ce qu’est un ordinateur (ce qui est normal et attendu, ils n’ont jamais été formés à cela).</p>
<p>Dans l’école primaire de mes enfants, ils sont tout fiers de proposer des séances d’explications… de PowerPoint !</p>
<p>Alors, deux petits rappels importants :</p>
<p>Premièrement, apprendre à utiliser des logiciels commerciaux, ce n’est pas de l’informatique. C’est de l’utilisation d’un outil commercial qui n’est pas généralisable et donc foncièrement inutile sur le long terme. Les enfants ont appris à cliquer sur deux boutons ? À la prochaine version, les boutons seront ailleurs et les enfants n’auront aucune connaissance intuitive de leur outil. Et c’est sans doute parce que le professeur n’en a aucune lui-même, mais c’était le prof de l’école qui « aime bien l’informatique », qui clique sur des .exe sans transpirer à grosses gouttes, du coup on lui confie ce rôle.</p>
<p>En deuxième lieu, si vous voulez qu’un enfant se débrouille avec n’importe quel logiciel, il y a une solution très simple : laissez-le faire. Sérieusement, laissez-le chipoter, essayer, faire n’importe quoi. Dans le cas du PowerPoint, je suis certain que si on laisse une classe une heure avec le logiciel, elle en saura plus que l’adulte qui peine. Mettez-leur en main des ordinateurs où ils ont le droit de « tout casser ».</p>
<p>Après, il y’a un énorme problème avec la génération actuelle à qui on fourgue une tablette dès la couveuse : ils n’ont jamais chipoté. Ils sont nés avec des appareils avec des grosses icônes sur lesquelles il suffit de cliquer pour acheter des applications. Des appareils qui sont conçus à dessein pour empêcher de comprendre comment ils fonctionnent et qui ne peuvent pas être « cassés ». Les outils propriétaires sont, par essence, des boîtes noires qui se veulent arbitraires et incompréhensibles.</p>
<p>Ce n’est pas de l’informatique. Ce n’est pas une connaissance utile. Ce n’est pas le rôle de l’école de s’occuper de cela.</p>
<p>Je réfléchis beaucoup à une méthode d’enseignement de l’informatique. Et j’en suis arrivé à une conclusion : apprendre les bases de l’informatique doit se faire sans ordinateur. Il y a tant de choses amusantes à faire sur un tableau noir : compter en binaire, écrire des petits algorithmes, créer des groupes d’enfants appliquant chacun un algorithme et voir ce qui se passe si on se passe des « données » dans un ordre plutôt qu’un autre…</p>
<h2 id="soustitre-3">Le concept de boîte noire</h2>
<p>L’ingénieur tente d’utiliser une boîte noire avec laquelle il a appris à interagir grâce au scientifique. Le scientifique, lui, cherche à comprendre comment fonctionne l’intérieur de la boîte noire (qui contient elle-même d’autres boîtes noires).</p>
<p>Méfiez-vous des gens qui vous vendent des boîtes noires, mais sont étonnés à l’idée que vous demandiez ce qu’il y a à l’intérieur.</p>
<ul>
<li><a href="gemini://njms.ca/gemlog/2024-02-23.gmi">The black box (njms.ca)</a></li>
</ul>
<h2 id="soustitre-4">Réseaux sociaux</h2>
<p>Outre comprendre l’informatique, il est vrai que les nouvelles générations doivent apprendre à vivre dans un monde de réseaux sociaux. Mais, une fois encore, la plupart des adultes ne comprennent rien et tentent d’imposer leur vision étriquée de ce qu’ils n’ont pas compris.</p>
<p>J’écrivais qu’un véritable réseau social ne peut pas être un succès. Tout le monde ne peut pas être dessus, sinon ce n’est plus vraiment un réseau social.</p>
<ul>
<li><a href="/2023-07-06-stop-trying-to-make-social-networks-succeed.html">Stop Trying to Make Social Networks Succeed (ploum.net)</a></li>
</ul>
<p>Winter traduit très bien ce sentiment avec ses mots : sur chaque plateforme, nous avons une identité différente, une créativité qui s’accompagne parfois d’une grande pudeur.</p>
<ul>
<li><a href="gemini://rawtext.club/~winter/gemlog/2024/2-26.gmi">Facebook as Containment Field: Rebuilding the Partition (winter)</a></li>
</ul>
<p>Après tout, lorsque j’ai créé ce blog, j’ai évité consciencieusement toute référence à mon nom officiel pour pouvoir m’exprimer sans crainte d’être jugé par mes proches. Ce n’est que petit à petit que j’ai pu prendre l’assurance de lier l’identité de Ploum avec celle de Lionel Dricot. J’ai tenu deux autres sites web, aujourd’hui disparus, dont un qui était un blog avant la lettre, sous des identités qui n’ont jamais été liées à moi. Dans son livre « Mémoires Vives », Edward Snowden insiste sur cet aspect multi-identitaire fondamental à sa vocation. Aaron Swartz a également utilisé ces outils pour contribuer à définir la norme RSS en cachant qu’il était encore adolescent.</p>
<p>Cet apprentissage, ces libertés et ces explorations de ses propres identités sont malheureusement complètement perdus dans la vocation des réseaux sociaux centralisateurs qui imposent une et une seule identité.</p>
<p>La seule chose que les jeunes peuvent faire désormais, c’est de créer un compte sous un faux nom "réaliste", ce qui les incite à se faire passer pour un camarade et, de ce fait, à se porter préjudice l’un à l’autre, au grand dam des établissements scolaires et des parents qui doivent prendre des mesures énergiques pour dire que « Ça ne se fait pas d’usurper l’identité d’un autre ».</p>
<p>Non, ça ne se fait pas. Mais ça se fait de s’inventer des identités. De se créer des univers différents, qui interagissent dans des communautés différentes.</p>
<p>Et nous avons revendu cette liberté contre la possibilité d’être fliqué par la publicité avec l’obligation d’avoir notre vrai nom partout parce que « c’était plus facile ».</p>
<h2 id="soustitre-5">Bloat JavaScript</h2>
<p>Et même sur le côté « plus facile », nous nous sommes fait avoir par le côté « boîte noire sans cesse changeante ».</p>
<p>Niki, blogueur sur tonsky.me, s’est amusé à calculer la quantité de JavaScript que chargent les sites principaux… par défaut ! Sur le « minimaliste » Medium, c’est 3Mo. Sur LinkedIn, c’est 31Mo.</p>
<ul>
<li><a href="https://tonsky.me/blog/js-bloat/">JavaScript Bloat in 2024 (tonsky.me)</a></li>
</ul>
<p>Pour rappel, il y a zéro JavaScript sur ploum.net. En fait, pour un rendu relativement similaire (du texte aligné au milieu d’un écran), vous devriez télécharger 1000 fois plus de données pour lire un de mes billets sur Medium et 10.000 fois plus de données pour lire un de mes billets sur LinkedIn.</p>
<p>En plus du temps de téléchargement, le processeur de votre appareil serait mis à rude épreuve pendant quelques dixièmes de secondes voire des secondes tout court, augmentant la consommation d’électricité (de manière significative) et vous donnant une légère impression de lenteur ou de difficulté lors de l’affichage. Si vous avez un appareil un peu ancien ou une connexion un peu mauvaise, ces difficultés sont multipliées exponentiellement.</p>
<p>Ah oui. En plus de tout, sur Medium et LinkedIn, vous êtes complètement pistés et les données de votre lecture vont grossir les milliers de bases de données marketing.</p>
<p>Il y a même des chances que, pour lire l’article sur Medium ou LinkedIn, vous utilisiez le mode « lecture » de votre navigateur ou d’un logiciel quelconque. Mode qui après avoir tout téléchargé et tout calculé va tenter d’extraire le contenu de l’article pour l’afficher dans un style similaire à ploum.net.</p>
<p>Tous ces allers et retours alors qu’il est tellement simple, en temps que webmaster, d’offrir le texte directement, sans fioriture. De simplifier la vie de tout le monde… </p>
<h2 id="soustitre-6">Gaspillage et sécurité</h2>
<p>Ces systèmes sont donc plus lourds, plus énergivores, beaucoup plus compliqués à produire. Pourquoi les produit-on ?</p>
<ul>
<li><a href="/2023-03-30-tnt23-pourquoi.html">Keynote Touraine Tech 2023 : Pourquoi ? (ploum.net)</a></li>
</ul>
<p>Mais ce n’est pas tout ! Leur complexité augmente la surface d’attaque potentielle et donc le nombre de failles de sécurité. Une joie pour les script-kiddies. Sauf que plus besoin des script-kiddies, les intelligences artificielles peuvent désormais automatiquement exploiter les failles de sécurité.</p>
<ul>
<li><a href="https://www.schneier.com/blog/archives/2024/02/ais-hacking-websites.html/">Schneier on Security (www.schneier.com)</a></li>
</ul>
<p>On va donc avoir, d’une part, des sites de spam/SEO générés automatiquement et, d’autre part, des sites légitimes qui se sont fait pirater et sur lesquels a été injecté du contenu spam/SEO. </p>
<p>Voilà, voilà, ne me dites pas que je ne vous avais pas prévenu.</p>
<ul>
<li><a href="/2023-08-01-splitting-the-web.html">Splitting the Web (ploum.net)</a></li>
</ul>
<h2 id="soustitre-7">Écologie</h2>
<p>Le plus difficile, dans tout cela, c’est certainement la pression sociale. Si on aime vivre en ermite comme moi, c’est simple de refuser Whatsapp, Google. Mais lorsqu’on est ado, on se fout de ces principes. On veut faire partie du groupe. Avoir un iPhone. Être sur Tiktok. Jouer au dernier jeu à la mode en parlant du dernier Youtubeur sponsorisé par une marque d’alcool ou de tabac. Porter des fringues de marque produit par des enfants dans des caves en Thaïlande.</p>
<p>Pour l’adolescence, les préceptes moraux et les interdictions sont là pour être contournés (et c’est une bonne chose). Tout ce que nous pouvons offrir, c’est l’éducation. La compréhension des enjeux et des conséquences des actes posés dans leur univers de vie.</p>
<p>Bref, dans l’informatique comme dans tout autre domaine, nous devons enseigner l’écologie.</p>
<p>Mais encore faut-il que nous la comprenions nous-mêmes. </p>
<p>Nous vivons dans un monde où l’eau de pluie est désormais contaminée par des polluants dangereux… partout sur la planète ! Il n’existe plus une goutte d’eau de pluie qui soit considérée comme potable.</p>
<ul>
<li><a href="https://phys.org/news/2022-08-rainwater-unsafe-due-chemicals.html">Rainwater unsafe to drink due to chemicals: study (phys.org)</a></li>
</ul>
<p>Alors, peut-être que nous devons accepter n’avoir pas de leçons écologiques à donner à nos enfants…</p>
<div class="signature"><p>Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.</p>
<p>Recevez directement par mail <a href="https://listes.ploum.net/mailman3/postorius/lists/fr.listes.ploum.net/">mes écrits en français</a> et <a href="https://listes.ploum.net/mailman3/postorius/lists/en.listes.ploum.net/">en anglais</a>. Votre adresse ne sera jamais partagée. Vous pouvez également utiliser <a href="/atom_fr.xml">mon flux RSS francophone</a> ou <a href="/atom.xml">le flux RSS complet</a>.</p>
<p>Pour me soutenir, <a href="/livres.html">achetez mes livres</a> (si possible chez votre libraire) ! Je viens justement de publier un <a href="/et-autres-joyeusetes-que-nous-reserve-le-futur/index.html">recueil de nouvelles</a> qui devrait vous faire rire et réfléchir. Je fais également partie du <a href="/2023-12-12-sf-en-vf.html">coffret libre et éthique « SF en VF »</a>.</p>
</div>
Ploumhttps://ploum.netLectures : utopies, écologie, pirates et meta-bullshithttps://ploum.net/2024-02-23-culture-ecologie-pirates-metabullshit.html2024-02-23T00:00:00Z2024-02-23T00:00:00Z
<h1>Lectures : utopies, écologie, pirates et meta-bullshit</h1>
<h2 id="soustitre-1">Les conséquences de l’utopie</h2>
<p>Je suis tombé sur plusieurs analyses du cycle de la Culture, de Iain M. Banks, une série de livres de SF que j’aime beaucoup et dont Elon Musk et Jeff Bezos disent s’inspirer.</p>
<ul>
<li><a href="https://bloodknife.com/culture-war-iain-m-banks-jeff-bezos/">The Culture War: Iain M. Banks's Billionaire Fans (bloodknife.com)</a></li>
</ul>
<p>Science-fiction utopique, le cycle de la Culture est une véritable réflexion sur la notion même d’utopie. À ne pas confondre avec la SF pseudo-utopique (et, pour moi, profondément ennuyeuse) de type Becky Chambers où le monde a été détruit, l’humanité décimée, mais comme tout le monde boit du thé avec de l’eau recyclée chauffée par des panneaux solaires, alors tout va bien et on balaie d’un revers de la main tout questionnement sur les millions de morts du passé.</p>
<p>Tout le contraire des romans « Feel Good », La Culture décrit, avec une approche parfois ardue, une société post-scarcité où chaque humain (ou intelligence artificielle) peut poursuivre sa voie personnelle à sa guise et où toutes les tentatives d’obtenir un pouvoir quelconque sont réprimées gentiment (et n’ont de toute façon aucun sens vu que tout le monde peut obtenir tout ce qu’il veut). Vu comme ça, difficile de voir en quoi cela peut inspirer des milliardaires capitalistes.</p>
<p>Deux théories possibles : la première est qu’ils se soient arrêtés à l’aspect prépubère des vaisseaux spatiaux super-cool qui franchissent l’espace en faisant piou-piou. La seconde, c’est qu’ils se voient eux-mêmes comme des dieux dont tous les désirs sont satisfaits, nonobstant complètement leur propre impact sur les autres. Dans tous les cas, ils ont complètement raté le sous-titre d’un auteur qui est, de son propre aveu, profondément socialiste et anti-capitaliste.</p>
<ul>
<li><a href="https://www.thebottleimp.org.uk/2023/11/better-to-create-your-own-on-the-legacy-and-utopianism-of-iain-m-bankss-culture-series/">'Better to Create Your Own': On the Legacy and Utopianism of Iain M. Banks’s Culture Series (www.thebottleimp.org.uk)</a></li>
</ul>
<p>Un des sujets principaux de la Culture, c’est le sens de la vie d’une humanité qui n’a plus aucune contrainte matérielle. Avec cette superbe analogie : non, l’invention de l’hélicoptère n’a pas tué l’alpinisme. Si le but était de se tenir au sommet d’une montagne, il n’y aurait plus d’alpinistes. Mais l’objectif n’est pas de se tenir quelques secondes au sommet. Il est de grimper. De tracer son chemin.</p>
<p>Et nous sommes prêts à suivre les aventures de ceux qui grimpent. Nous nous foutons complètement de la vie de quelqu’un qui prend l’hélicoptère. Il en va de même pour l’art : l’art n’a rien à redouter de l’intelligence artificielle, car l’art, par essence, est un processus de création. Un chemin. Il y a quatre ans, je décrivais le processus créatif comme un lien entre humains.</p>
<ul>
<li><a href="/les-ecrivains-bientot-remplaces-par-un-algorithme/index.html">Les écrivains bientôt remplacés par un algorithme ? (ploum.net)</a></li>
</ul>
<h2 id="soustitre-2">L’art-gorithme…</h2>
<p>Je définis personnellement l’art comme ce qu’un humain ne peut pas ne pas faire. Un écrivain n’est pas quelqu’un qui écrit. C’est quelqu’un qui ne peut pas ne pas écrire. Un musicien ne peut pas ne pas faire de la musique. Un programmeur ne peut pas ne pas programmer.</p>
<p>C’est toute la différence entre l’art et le travail. C’est aussi la raison pour laquelle certains grands artistes s’éteignent en devenant professionnels. Car l’art devient alors une obligation plutôt qu’une pulsion.</p>
<p>Nous sommes d’accord, les algorithmes menacent les rentrées financières, souvent précaires, des artistes. Mais c’est parce que les artistes ne vivent, dans une immense majorité, pas de leur art. Ils vivotent en prostituant leurs capacités techniques et leur talent pour faire du marketing, des logos, du webdesign et des images à coller sur les emballages. Affamés par une société ultra-consumériste, ils survivent en en devenant l’esclave.</p>
<p>Avec l’AI, la société consumériste ne menace pas les artistes. Elle a juste rajouté une corde à son arc pour négocier les salaires de ses esclaves à la baisse. Comme dit Cory Doctorow : « Les AI ne sont pas capables de vous remplacer à votre travail. Mais les producteurs d’AI sont capables de convaincre votre patron qu’elles le sont. ». </p>
<p>De mon côté, j’aime rappeler qu’on n’est pas encore capable de faire une putain de toilette qui se nettoie toute seule de manière efficace, qu’on doit tous, tous les jours, racler notre merde (ou, payer quelqu’un pour le faire à notre place), mais que, ne vous inquiétez pas, on dépense des milliards pour automatiser le travail des artistes… Le sens des priorités est clair.</p>
<p>Personnellement, je pense que la première manière de soutenir les artistes, c’est de le découvrir et de les faire connaître autour de vous, d’en parler comme des humain·e·s en train d’escalader des montagnes plutôt que d’aduler la photo où ils sont au sommet. Le partage inclut bien entendu le piratage (oui, piratez mes livres ! Prêtez-les ! Donnez-les !). Si vous voulez aller plus loin, voyez avec l’artiste en question la meilleure manière de le soutenir et celle qui vous convient le mieux. Personnellement, j’aime que mon éditeur et que les libraires indépendants soient également soutenus, du coup je vous encourage à acheter mes livres sur arbres morts dans des petites librairies. Mais pour d’autres, cela peut être un don, un crowdfunding… Enfin, faites ce que vous voulez !</p>
<h2 id="soustitre-3">Piratage et médias</h2>
<p>En parlant de piratage justement, mon attention a été attirée sur l’étagère de livres « à donner » de la bibliothèque publique de ma ville. Mon bibliothécaire m’a expliqué qu’ils avaient une obligation formelle d’avoir plus de 50% de livres de moins de 10 ans dans leur stock. Régulièrement, la bibliothèque se débarrasse donc de livres qui ont dépassé l’âge fatidique. Dans ce cas-ci, le livre qui a retenu mon attention s’intitule « Capitaine Paul Watson : Entretien avec un pirate », de Lamya Essemlali. Comme mon épouse venait de m’offrir un pull Sea Sheperd, j’avais justement le personnage en tête je me suis approprié le livre.</p>
<p>Absolument non littéraire, le livre n’est qu’une grande interview du co-fondateur de Greenpeace et puis de Sea Shepperd. Ce qui est fascinant, c’est de découvrir un personnage « no bullshit » comme j’en voudrais plus. </p>
<p>Le personnage de Paul Watson n’est pas vraiment sympathique. Mais il s’en fout.</p>
<blockquote> Notre objectif n’est pas de protester contre la chasse à la baleine, il est de l’arrêter.<br> – Entretien avec un pirate, p. 77<br></blockquote>
<p>Tout au long du livre, il assène qu’il est stupide de tenter de lutter pour la préservation des emplois et contre la pauvreté si cela se fait au détriment de la planète. Parce que si l’écosystème est détruit, on sera bien avec nos emplois et nos richesses. On sera tous pauvres. Ou morts. L’écologie est le combat de base de tout militant. Elle vient avant le social. Il pousse la cohérence jusqu’à interdire la cigarette à bord de toute la flotte Sea Sheperd. Les repas sont également végans. </p>
<p>Il tire à boulets rouges sur Greenpeace qui est devenue une association qui a pour but de récolter les dons. Il prétend que Greenpeace gagne désormais plus d’argent avec la chasse à la baleine que l’industrie baleinière elle-même. Tout en ne faisant aucune action : les démarcheurs Greenpeace vont jusqu’à utiliser les images des campagnes… Sea Sheperd. Greenpeace fait du marketing et, comme toute industrie du marketing, tire son profit de ne pas résoudre le problème. Le problème est l’essence du business, il faut le préserver, voire l’amplifier (en prétendant développer des solutions). Paul Watson va plus loin dans sa critique du marketing : rien ne sert de convaincre les gens de ne pas tuer de baleine vu qu’ils ne l’auraient de toute façon pas fait. Il faut agir directement sur les baleiniers. Le parallèle avec l’industrie informatique est laissé en exercice au lecteur.</p>
<p>Les gens qui agissent sont, par essence, décriés dans les médias.</p>
<blockquote> Tout ce que l’on fait et ce que l’on pense est défini et contrôlé par les médias. Ce sont eux qui définissent notre réalité. Et c’est la raison pour laquelle nous nous trouvons sur une voie rapide au bout de laquelle nous attend une récompense darwinienne collective : l’extinction de notre espèce.<br> — Entretien avec un pirate, p. 158<br></blockquote>
<p>Avec cynisme, Paul Watson invite donc des célébrités qui n’ont rien à voir avec la cause afin d’asséner, durant la conférence de presse, que s’il avait invité un spécialiste du domaine au lieu d’un acteur de cinéma, les médias ne seraient pas là.</p>
<p>Paul Watson est également placé sur la liste rouge d’Interpol. Il est considéré comme un « écoterroriste ». Ce qui est fascinant, c’est qu’il respecte parfaitement les lois et n’a jamais été condamné ni arrêté pour quoi que ce soit, malgré ses tentatives en se rendant de lui-même dans les commissariats. Sea Shepperd ne fait qu’ennuyer voir éperonner des navires qui pratiquent des activités complètement illégales. Et donc, personne ne porte plainte parce que les navires éperonnés n’avaient rien à faire là en premier lieu ! </p>
<p>Il va plus loin en se demandant qui sont réellement les « écoterroristes » alors que personne n’a jamais été tué ni même blessé dans une action Sea Sheperd.</p>
<blockquote> Les gens nous accusent de jeter des bombes puantes sur les baleiniers japonais. Oui, on fait ça, c’est vrai. […] Ceci dit, j’ai du mal à imaginer Oussama Ben Laden en train de jeter une bombe puante sur un bus de touristes.<br> — Entretien avec un pirate, p. 169<br></blockquote>
<h2 id="soustitre-4">La médiatisation et la corruption de la rébellion</h2>
<p>Dans « Mémoires vive », Edward Snowden raconte son incroyable histoire et un point m’a frappé : travaillant à l’intérieur même du service de renseignement, Snowden sait exactement ce qui va lui arriver. Il sait comment on va l’attaquer. Il prédit même comment il va être décrédibilisé dans les médias. Le même phénomène est à l’œuvre avec Paul Watson. Face aux rebelles, le capilo-consumérisme passe par trois lignes de défense:</p>
<p>Premièrement, en rendant la vie aussi difficile au rebelle en rendant ses ressources rares, en l’épuisant, en le décourageant voire en le harcelant. C’est normal, c’est le jeu.</p>
<p>En second lieu, si le rebelle persiste, en l’achetant, en le rémunérant pour sa complicité. Ce que nous faisons tous en travaillant pour payer notre shopping afin de nous changer les idées après une dure semaine de boulot… pour payer le shopping. </p>
<p>Mais les véritables rebelles charismatiques, les artistes, sont achetés bien plus chers. Ils deviennent des stars. Ils sont célébrés par le système, ils sont riches. Ils n’ont plus envie de se rebeller et utilisent leur image de rebelle pour exhorter leur audience à se conformer. Leur situation leur fait perdre toute crédibilité et légitimité dans la rébellion. Comme les vieux et riches musiciens qui luttent de toutes leur force contre le piratage. Ou les groupes punk postant sur Facebook et Instagram. Riches, on se contentera de faire des dons à des associations adoubées par le système et servant à relancer la carrière médiatique de chanteurs has been et de stars de télé-réalité autrement oubliées.</p>
<p>Facebook, au fait, n’est qu’une gigantesque machine à corrompre à moindre coût les rebelles. On étouffe la rébellion en échange… de likes et de followers ! Toute association écologiste présente sur Facebook est, en soit complètement corrompue, car, de par sa seule présence sur la plateforme, elle justifie et promeut le consumérisme et un monde soumis à la publicité. Facebook, c’est la « Planète à gogos » virtuelle (en référence au chef-d’œuvre de Pohl et Kornbluth). Même plus besoin de payer les rebelles, ils viennent gratuitement pour quelques likes. Quoi ? Ce sont eux qui paient pour mettre en avant leur site web et obtenir encore plus de followers ? </p>
<ul>
<li><a href="/comment-facebook-gagne-de-largent/index.html">Comment Facebook gagne de l’argent (ploum.net)</a></li>
</ul>
<p>Je suis sûr qu’on va me dire que Sea Shepperd a malheureusement une page Facebook. J’en suis triste. La convergence des luttes n’a pas encore percolé à ce niveau-là…</p>
<p>Mais il reste les rebelles incorruptibles, inaliénables. De type Watson ou Snowden. Face à eux, on utilise la troisième ligne de défense. Les médias, littéralement financés par la publicité, vont alors mener une destruction en règle de l’image publique. Il va s’agir de construire de toutes pièces et de manière consciente un personnage détestable. Un mauvais digne d’un film afin de décrédibiliser ses actions.</p>
<p>C’est tellement puissant qu’il est parfois intéressant de prendre un peu de recul et de réaliser ce qu’on reproche vraiment à la personne. À Julian Assange, on reproche littéralement… d’avoir fait un travail de journaliste. Essayez d’imaginer « Les hommes du président », mais où Dustin Hoffman et Robert Redford seraient les méchants qui veulent faire tomber le bon président qui surveille ses opposants politiques pour le bien de son peuple. Et bien voilà, on est en plein dedans. Et à Paul Watson, on reproche… d’empêcher des massacres illégaux de faune marine !</p>
<blockquote> Imagine que tu te rendes dans la ville de La Mecque, que tu marches jusqu’au centre vers la pierre noire et que tu craches dessus. Eh bien, tes chances de sortir de là en vie sont pour ainsi dire très minces et peu de gens éprouveront une quelconque sympathie à ton égard, car tu auras commis un blasphème […] et les gens comprendraient la violence qui te serait faite en réponse.<br> […]<br> Si les forêts tropicales, si les océans et toute la vie qu’ils contiennent avaient autant de valeur, s’ils étaient aussi sacrés à nos yeux qu’une vieille pierre, […] nous taillerons en pièce ces bûcherons et ces chaluts pour leurs actions. Nous ne le faisons pas, car nous sommes totalement aliénés du monde naturel.<br> — Entretien avec un pirate, p. 143<br></blockquote>
<h2 id="soustitre-5">L’impact de l’homme sur le climat</h2>
<p>Étant fanatique d’apnée, je vois chaque année les dégâts que l’humanité inflige aux océans. Se retrouver dans une mer magnifique, au large, pour se rendre compte que ce que je prenais pour des reflets à la surface sont des billes de polystyrène qui couvrent l’océan. Ou réaliser que, dès que mes palmes me portent en dehors d’une minuscule zone « réserve naturelle », la végétation laisse place au sable à perte de vue et que les poissons sont plus rares que les sacs plastiques et les bouteilles vides.</p>
<p>Nous sommes huit milliards. C’est un chiffre inimaginable. Si vous rencontriez une personne sur la planète toutes les secondes, il vous faudrait… 350 ans pour voir tous les humains. Huit milliards de personnes qui tentent de se faire consommer le plus possible les uns les autres. La consommation étant définie comme l’extraction d’une ressource naturelle pour la transformer en déchet (la consommation proprement dite se faisant au milieu). Nous sommes huit milliards à transformer la planète en déchet, en récompensant comme nos maîtres absolus ceux qui le font le plus efficacement et le plus rapidement possible.</p>
<p>Notre impact est énorme, inimaginable. Et l’était déjà il y a des siècles.</p>
<p>La colonisation des Amériques par les Européens entraina, en un siècle, la mort de près de 90% des indigènes. Que ce soit par des massacres directs ou via les épidémies, certaines ayant été propagées à dessein, par exemple en distribuant des couvertures ayant servi à recouvrir des malades de la variole.</p>
<ul>
<li><a href="https://www.theguardian.com/environment/2019/jan/31/european-colonization-of-americas-helped-cause-climate-change">European colonization of Americas killed so many it cooled Earth's climate (www.theguardian.com)</a></li>
</ul>
<p>On estime que les Européens ont causé 56 millions de morts entre Christophe Colomb et l’année 1600. Un mort chaque minute pendant plus d’un siècle ! C’est un nombre tellement important que d’immenses étendues de champs se sont soudainement retrouvées en friche, que la végétation a explosé capturant beaucoup de carbone présent dans l’atmosphère et contribuant au « petit âge de glace » de cette époque. Le massacre serait, à lui seul, responsable pour une diminution de 0,15°C du climat mondial, avec un effet bien plus prononcé en Europe.</p>
<h2 id="soustitre-6">Conclusion et meta-bullshit</h2>
<p>J’aime bien tenter de trouver une sorte de conclusion commune à ces réflexions en vrac (qui ne deviendront pas quotidienne, je vous rassure. C’est juste que j’avais du retard dans mes notes). Ici, il y en a une qui me frappe : c’est l’importance, la prépondérance des médias entièrement financés par la publicité sur ce qui fait notre culture et notre perception de la réalité.</p>
<p>Nous vivons dans une société où le bullshit, le mensonge sont l’état de base. Nous sommes tellement accros que l’on discute de la moralité d’installer un bloqueur de publicité sur notre navigateur alors que l’acte même de se rendre sur un site publicitaire devrait être vu comme l’équivalent climatique de la consultation d’un site pornographique : on devrait avoir honte de le consulter et encore plus d’y travailler.</p>
<p>Mais nous revenons toujours, pour nous tenir « informés ». Aaron Swartz, je t’en supplie, reviens !</p>
<ul>
<li><a href="http://www.aaronsw.com/weblog/hatethenews">I Hate the News (Aaron Swartz's Raw Thought) (www.aaronsw.com)</a></li>
</ul>
<p>L’intelligence artificielle est la cerise sur le gâteau. Le bullshit ne sert plus à nous vendre de la merde, mais il se produit tout seul pour vendre de générateurs de bullshit ! </p>
<p>Ça y’est, nous sommes entrés dans l’ère du meta-bullshit</p>
<div class="signature"><p>Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.</p>
<p>Recevez directement par mail <a href="https://listes.ploum.net/mailman3/postorius/lists/fr.listes.ploum.net/">mes écrits en français</a> et <a href="https://listes.ploum.net/mailman3/postorius/lists/en.listes.ploum.net/">en anglais</a>. Votre adresse ne sera jamais partagée. Vous pouvez également utiliser <a href="/atom_fr.xml">mon flux RSS francophone</a> ou <a href="/atom.xml">le flux RSS complet</a>.</p>
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</div>
Ploumhttps://ploum.netMeta-blogging, lectures sur Gemini et conquête spatialehttps://ploum.net/2024-02-22-metablogging-lectures-gemini-spatial.html2024-02-22T00:00:00Z2024-02-22T00:00:00Z
<h1>Meta-blogging, lectures sur Gemini et conquête spatiale</h1>
<h2 id="soustitre-1">Meta-blogging</h2>
<p>Pluralistic, le blog de Cory Doctorow, fête ses quatre ans. </p>
<ul>
<li><a href="https://pluralistic.net/2024/02/20/fore/">Pluralistic: Pluralistic is four; The Bezzle excerpt (Part III) (20 Feb 2024) (pluralistic.net)</a></li>
</ul>
<p>Cory est une énorme source d’inspiration pour moi. Il poste presque tous les jours, appliquant une méthode qu’il intitule Memex. Je le lis depuis son tout premier billet, je me demande comment il tient un tel rythme. Et je crois avoir percé une partie de son secret : son blog n’est qu’un ensemble de notes qu’il prend durant la journée et qu’il poste le soir ou le lendemain. Je me suis pris à penser à toute cette énergie d’écriture que je passe à répondre à de longs mails, à poster sur des forums, à poster et à lire sur Mastodon, à mettre dans mes notes personnelles. Et si je m’inspirais encore plus de sa méthode ?</p>
<p>Avec la croissance du lectorat de ploum.net, je me suis inconsciemment imposé une forme de perfectionnisme dans l’écriture de mes billets. Je rejette beaucoup de brouillons qui ne sont pas satisfaisants, je relis, je corrige parfois pendant des jours, des semaines ou des mois jusqu’au moment où le billet n’est de toute façon plus pertinent. J’ai énormément perdu en spontanéité. J’ai également peur de vous « spammer ».</p>
<p>Parfois, je me laisse aller à poster un billet spontané. Je le poste en me forçant à ne pas trop réfléchir. Et ça me fait plaisir. J’avais également tenté de faire des billets « en vrac » inspiré par Tristan Nitot. Deux exemples au hasard :</p>
<ul>
<li><a href="/lectures-1/index.html">Lectures 1 (ploum.net)</a></li>
<li><a href="/lectures-6-epanadiplose-sur-la-peur-la-securite-et-la-resistance/index.html">Lectures 6: Épanadiplose sur la peur, la sécurité et la résistance (ploum.net)</a></li>
</ul>
<p>Quand j’y repense, ces billets m’ont vraiment été utiles. Je m’y suis référé plusieurs fois pour trouver des liens, pour revenir à des réflexions que j’avais.</p>
<p>On me demande très souvent des conseils pour se mettre à bloguer. Le plus important que je donne est toujours de bloguer pour soi. De ne pas réfléchir à ce qu’on pense qui pourrait plaire à son audience, mais de publier. De publier ce qu’on a soi-même dans les tripes. </p>
<p>J’ai suffisamment d’expérience avec le buzz pour savoir que le succès à court terme d’un billet de blog est très difficilement prévisible. Et même lorsque le billet fait un buzz incroyable, cela n’est généralement pas perceptible si l’on n’a pas de statistiques et si on n’est pas sur les réseaux sociaux. Être le sujet d’un buzz procure une décharge de dopamine et puis… c’est tout ! C’est addictif, mais souvent plus nocif qu’autre chose, car on se surprend à en vouloir toujours plus, à guetter les votes sur Hackernews, à s’énerver sur les commentaires de ceux qui ne sont pas d’accord avec vous.</p>
<p>L’impact à long terme d’un billet est, lui, encore moins prévisible. Il est également très personnel : je me surprends à relire certains de mes billets, à y refaire référence, à m’en servir comme point d’ancrage pour certaines idées quand bien même tout le monde semble s’en foutre. </p>
<p>Je dis bien « semble s’en foutre » parce qu’on ne peut jamais savoir. Sous la masse d’internautes qui postent sur les réseaux sociaux, sur les forums et qui commentent, il y a dix fois plus de personnes qui lisent en silence, qui partagent en privé. </p>
<p>« Ploum, je suis heureux de te rencontrer. Ton billet X a changé ma vie ! » m’a un jour dit un·e lecteurice en faisant référence à un billet publié cinq ans plus tôt et pour lequel je n’avais eu aucun retour.</p>
<p>« J’ai imprimé ton billet Y pour le faire lire à mon père. Nous avons passé la soirée à en discuter » m’a dit un·e autre.</p>
<p>Je conseille à tous les apprentis blogueurs de lâcher prise, de publier ce qu’ils ont dans la tête. Mais pourquoi ne pourrais-je pas appliquer mes propres principes ?</p>
<p>Car c’est difficile de lâcher prise, de ne pas apparaître comme ayant toujours une prose bien construite, bien arrêtée. C’est dur de montrer ses doutes, de faire des raccourcis de raisonnement dont on aura honte après les premiers retours, de reconnaitre ses erreurs.</p>
<p>Et du coup, sans transition…</p>
<h2 id="soustitre-2">Quelques liens de ma journée</h2>
<p>Une courte tranche de vie d’un parent dont l’enfant a un diabète de type 1. Tellement courte que l’on dirait un pit-stop en formule 1.</p>
<ul>
<li><a href="gemini://arcticfire.sytes.net/posts/pit_stop.gmi">Pit Stop (arcticfire.sytes.net)</a></li>
</ul>
<p>Oui, c’est un lien Gemini. Gemini est un réseau où l’absence de métriques telles que les statistiques ou les likes rend l’écriture beaucoup plus personnelle, beaucoup moins calibrée. Je me retrouve à lire des tranches de vie, des réflexions qui n’ont aucune prétention et c’est très inspirant. À l’inverse, j’ai vu plusieurs personnes abandonner ce réseau parce qu’elles n’avaient pas de likes ni de statistiques et avaient l’impression de publier dans le vide. Le fait que je les lisais se plaindre prouvait qu’elles ne parlaient pas dans le vide. Mais ce qui est effrayant, c’est de se rendre compte qu’un simple chiffre articifiel sous un cœur ou sur un tableau Google Analytics nous fait croire que, ouf, là je n’écris pas dans le vide. </p>
<p>J’ai justement eu un échange à ce sujet avec un lecteur qui me pointait vers le concept du Web Revival:</p>
<ul>
<li><a href="https://thoughts.melonking.net/guides/introduction-to-the-web-revival-1-what-is-the-web-revival">Intro to the Web Revival #1: What is the Web Revival? (thoughts.melonking.net)</a></li>
</ul>
<p>Je tiens à préciser que je suis assez contre le terme « revival ». Il tend à idéaliser un passé qui n’a jamais existé. Le Web a très vite été envahi de publicité, de popups. Mais, évidemment, je soutiens l’idée d’un web minimaliste. Mon correspondant m’apprend que le site Melonking se targue de faire 38 millions de vues par mois (je n’ai pas la source). Or, c’est exactement là tout le problème du Web : comment le webmaster compte-t-il ces 38 millions de vues ? Pourquoi les compte-t-il ? Pourquoi s’en vante-t-il ? Et pourquoi cela impressionne-t-il tellement les lecteurices ?</p>
<p>J’ai désactivé toutes les statistiques possibles sur mon blog. Les seuls chiffres que je ne peux pas cacher son mon nombre de followers sur Mastodon (qui est public) et le nombre d’abonnés à mes mailing-listes (sauf si vous vous abonnez à la version text-only sur Sourcehut, là je n’ai aucune visibilité). Idéalement, j’aimerais n’avoir accès à aucune de ces statistiques. Et c’est peut-être pour cela que j’apprécie tellement Gemini. </p>
<ul>
<li><a href="/gemini-le-protocole-du-slow-web/index.html">Gemini, le protocole du slow web (ploum.net)</a></li>
</ul>
<p>Mais, rassurez-vous, le contenu est identique que sur la version Web de mon blog. Vous ne ratez donc rien en ne venant pas sur Gemini. Pour ceux que ça intéresse, le protocole Gemini est très simple et doit son nom au programme spatial Gemini. Le port utilisé, 1965, est d’ailleurs une référence explicite à l’année du premier vol Gemini habité de Virgil Grissom et John Young. Pour entériner la simplicité du protocole Gemini, Solderpunk, son créateur, vient d’annoncer son intention de clôturer définitivement le travail sur la spécification au plus tard le 18 mars 2027, mais, si tout va bien, le 8 mai 2025. Oui, ces jours ont une signification spéciale en lien avec la conquête spatiale.</p>
<ul>
<li><a href="gemini://geminiprotocol.net/news/2024_02_21.gmi">2024-02-21 - Introducing "Apollo days", some rough scheduling (geminiprotocol.net)</a></li>
</ul>
<h2 id="soustitre-3">La conquête spatiale</h2>
<p>La sonde Voyager 1 est en train de rendre l’âme.</p>
<ul>
<li><a href="https://crookedtimber.org/2024/02/19/death-lonely-death/">Death, Lonely Death (crookedtimber.org)</a></li>
</ul>
<p>Le fait qu’elle ait fonctionné jusqu’ici est proprement hallucinant. Adolescent, j’avais dévoré le livre de Pierre Kohler racontant son épopée. Aujourd’hui, lorsqu’une sonde est envoyée dans l’espace, une réplique exacte, au bit et au boulon prêt, est gardée dans un laboratoire pour déboguer tout problème et tester toute solution. L’ESA avait notamment dû reprogrammer en urgence la sonde Cassini alors qu’elle s’approchait de Saturne, car ils s’étaient rendu compte que l’effet Doppler n’avait pas été correctement pris en compte dans les calculs initiaux du récepteur.</p>
<ul>
<li><a href="/35-mon-dieu-cest-plein-detoiles/index.html">Mon dieu, c’est plein d’étoiles ! (ploum.net)</a></li>
</ul>
<p>Mais, à l’époque de Voyager 1, personne n’avait encore pensé à cette technique. Cela signifie qu’il n’existe pas de copie de la sonde Voyager et que le code informatique embarqué a complètement disparu. La sonde est en train de boguer, mais personne ne sait exactement quel code ni même quel système d’exploitation tourne. Ce qui rend le débogage particulièrement difficile, surtout lorsque le ping est de 48h. Il y a donc, dans l’espace intersidéral, hors de la zone d’attraction du soleil, un ordinateur qui tourne avec un système d’exploitation qui n’existe pas sur terre.</p>
<h2 id="soustitre-4">Conclusion</h2>
<p>Je n’avais pas prévu de poster de billet de blog aujourd’hui. Mais regardez où m’amène la méthode de Cory Doctorow. Contrairement à lui, je ne compte pas faire cela tous les jours. Mais j’espère bien me permettre de poster sans arrière-pensée. Je vais également (encore) moins répondre à vos emails (que je lis toujours avec autant de plaisir). Plutôt que de réponses individuelles, parfois très longues, je vais m’inspirer de vos réflexions pour créer des billets publics. </p>
<p>En espérant que vous comprendrez que ces billets sont des réflexions mouvantes, parfois imprécises ou erronées. Comme l’ont d’ailleurs toujours été tous mes billets de blog. C’est juste que j’essayais de me convaincre (et vous convaincre) du contraire.</p>
<div class="signature"><p>Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.</p>
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<p>Pour me soutenir, <a href="/livres.html">achetez mes livres</a> (si possible chez votre libraire) ! Je viens justement de publier un <a href="/et-autres-joyeusetes-que-nous-reserve-le-futur/index.html">recueil de nouvelles</a> qui devrait vous faire rire et réfléchir. Je fais également partie du <a href="/2023-12-12-sf-en-vf.html">coffret libre et éthique « SF en VF »</a>.</p>
</div>
Ploumhttps://ploum.netMon bibliotaphehttps://ploum.net/2024-02-19-mon-bibliotaphe.html2024-02-19T00:00:00Z2024-02-19T00:00:00Z
<h1>Mon bibliotaphe</h1>
<p>Les quelques milliers de livres qui composent notre bibliothèque familiale se mélangent, se transportent, se déplacent et s’étalent, colonisant les chambres, le salon, la salle à la manger, la toilette. Mais ils gardent un semblant d’ordre, une ébauche de discipline obéissant à une logique que je dois être le seul à comprendre : les bandes dessinées vont plus ou moins par genre, les rayonnages de fiction suivent l’ordre alphabétique des auteurs, etc.</p>
<p>Il n’en reste pas moins une grosse centaine d’ouvrages qui s’entassent dans les rayonnages de mon bureau et forment ma liste de lecture vivante, un bibliotaphe dont tout ordre est absolument proscrit.</p>
<blockquote> Malheureux ! Un bibliotaphe, cela ne se classe pas ! Ranger les livres, c’est empêcher les idées de communiquer entre elles. En outre, cela prive le chercheur de découvertes fortuites ! <br> <br> — Henri Lœvenbruck, Les Disparus de Blackmore, page 278<br></blockquote>
<p>Le pouvoir magique d’un bibliotaphe est parfois effrayant. </p>
<p>J’étais plongé dans « Lettre Ouverte à cet Autre qui est Moi », nouvelle clôturant le recueil « Les Cahiers du labyrinthe » que m’a partagé son auteur, Léo Henry. Dans ce récit qui m’a particulièrement interpellé, Léo Henry imagine que tout écrivain possède un double et explore jusqu’à son paroxysme les conséquences d’un tel postulat. </p>
<p>La lecture est comme l’œnologie. Savourer un passage ou une idée requiert de la tourner et retourner dans son esprit, de l’inspecter, de la humer. Me levant au milieu de la lecture de la nouvelle pour me diriger vers mon bureau, mon regard fut attiré par un fin volume qui dépassait de mon bibliotaphe, exactement à hauteur de mon nez. Le titre me fit sursauter.</p>
<p>Le Double, de Dostoïevski.</p>
<p>Je m’en saisis et contemplai sa couverture, un peu effrayé par la coïncidence.</p>
<p>J’hésitai. Je n’avais pas prévu de lire du Dostoïevski. Mais je n’avais pas le choix. Mon bibliotaphe venait de me donner un ordre implacable, ma prochaine lecture était toute trouvée. </p>
<p>Obéissant à cette force impérieuse, je me glissai ce soir-là sous la couette entre les pages du génial auteur de L’idiot.</p>
<p>Désormais, lorsque je passe à côté de la masse chamarrée de mon bibliotaphe, une forme de crainte m’envahit. Il me toise, semble pouvoir m’écraser sous sa masse. Je me rappelle alors qu’il est mon double bienveillant, qu’il est moi, me connait mieux qui quiconque et me protège. Et qu’il avait, encore une fois, parfaitement raison.</p>
<p>J’aime toujours autant Dostoïevski.</p>
<div class="signature"><p>Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.</p>
<p>Recevez directement par mail <a href="https://listes.ploum.net/mailman3/postorius/lists/fr.listes.ploum.net/">mes écrits en français</a> et <a href="https://listes.ploum.net/mailman3/postorius/lists/en.listes.ploum.net/">en anglais</a>. Votre adresse ne sera jamais partagée. Vous pouvez également utiliser <a href="/atom_fr.xml">mon flux RSS francophone</a> ou <a href="/atom.xml">le flux RSS complet</a>.</p>
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Ploumhttps://ploum.netLes petits plaisirs du shopping modernehttps://ploum.net/2024-02-12-plaisirs-shopping-moderne.html2024-02-12T00:00:00Z2024-02-12T00:00:00Z
<h1>Les petits plaisirs du shopping moderne</h1>
<p>— Bonjour, je peux vous aider ?</p>
<p>Coincée dans sa boutique au plus profond des entrailles du centre commercial, la vendeuse ne devait pas souvent voir la lumière du jour. Aux reflets criards de son maquillage, j’eus l’impression que ça ne la dérangeait pas spécialement.</p>
<p>— Oui, répondis-je en posant la main sur un modèle d’exposition. Je cherche à m’équiper entièrement.<br>
— Celui-là possède une connexion wifi et 5G ultrarapide. Vous pouvez le contrôler depuis votre téléphone grâce à notre app dédiée…<br>
— Non, merci, l’interrompis-je avec une petite moue non convaincue.<br>
— Ou alors, on rentre dans le haut de gamme. Ces modèles sont liés au cloud et possèdent une intelligence artificielle embarquée.<br>
— Bof, laissez tomber !<br>
— Enfin, le top du top, le neck plus ultra. Stockage des données sur blockchain propriétaire, interaction intégrée avec votre casque de réalité virtuelle…<br>
— Écoutez, je veux juste acheter un frigo. Juste un frigo !<br>
— Et bien ce sont des frigos. Les meilleurs…<br>
— Non, un frigo qui fait du froid et rien d’autre. Sans aucune connexion, sans aucune puce électronique.</p>
<p>Interloquée, la vendeuse ouvrit la bouche sans proférer le moindre son. Pendant quelques secondes, elle me jaugea avant de rompre le silence.</p>
<p>— Vous êtes un collectionneur d’antiquités ?<br>
— Non, je veux un frigo moderne, mais sans puce électronique. <br>
— Mais pourquoi ?<br>
— Parce que je veux un truc qui fait du froid, rien d’autre.<br>
— Ça n’a pas de sens !</p>
<p>Attirée par le bruit de notre discussion, une autre vendeuse s’approcha avec un sourire dégoulinant d’hypocrisie. </p>
<p>— Laisse Amanda, je m’en occupe. Monsieur est certainement ingénieur en informatique ou en électronique. </p>
<p>J’acquiesçai silencieusement avec un petit sourire. Elle avait vu juste !</p>
<p>— Monsieur, je suis au regret de vous annoncer que nous sommes un showroom de démonstration normal. Nous n’avons en démonstration que ce qui est disponible à la livraison sur notre site web, pas les produits de niche. Mais je crois savoir qu’il existe un magasin grand luxe qui fait ce genre de choses : des équipements sans puce électronique. Évidemment, ça coûte très cher. Beaucoup trop pour notre clientèle. Mais peut-être y trouverez-vous votre bonheur ? Attention cependant, il est impossible de commander en ligne. C’est un truc pour les riches originaux.<br>
— Merci, lancé en grommelant. Je vais aller voir.</p>
<p>Tournant le dos, j’entendis Amanda demander à sa collègue.<br>
— Mais pourquoi un ingénieur refuserait de…<br>
— Jamais compris. Ces gens-là, ils sont pas comme tout le monde. Si ça se trouve, il n’a même pas de compte sur…</p>
<p>Leurs voix se perdirent dans le brouhaha du centre commercial. M’enfuyant le plus rapidement possible, je franchis l’épais sas d’air conditionné et me retrouvai face aux automobiles qui, à perte de vue, rechargaient leurs batteries sous une pluie grisâtre. Je n’étais pas prêt de l’avoir mon frigo. Sans compter que, étant nouveau dans le pays, j’avais également besoin d’un micro-ondes, d’un lave-linge, d’une brosse à dents électrique et d’une cafetière… Ça n’allait pas être de tout repos.</p>
<p>Quant à la voiture, je n’osais même pas y penser. Tout compte fait, c’était peut-être le moment de se mettre sérieusement au vélo…</p>
<p>— Ding ! Mise à jour du firrmware de votre batterie en cours. Vérification de l’état de votre abonnement.</p>
<p>Argh ! Même les vélos !</p>
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Ploumhttps://ploum.netDe la brièveté de la vie et de la pérennité d’un bloghttps://ploum.net/2024-01-18-perennite-dun-blog.html2024-01-18T00:00:00Z2024-01-18T00:00:00Z
<h1>De la brièveté de la vie et de la pérennité d’un blog</h1>
<p>Cette année 2024 m’est particulièrement symbolique. En octobre, je fêterai les 20 ans de ce blog et ne serai plus très loin du million de mots publiés. Vingt ans qui ont fait de ce blog un élément central et constitutif de mon identité. Si je rêve d’être reconnu comme écrivain voire développeur ou scientifique, je resterai toujours avant tout un blogueur. Blogueur est d’ailleurs le premier qualificatif accolé à mon patronyme dans les médias ou sur Wikipédia.</p>
<p>Ironiquement, l’année de ces 20 ans de blog a commencé avec la plus longue indisponibilité que ce site ait jamais connue. Durant plusieurs jours, ploum.net a été complètement retiré du réseau. En cause, une attaque massive contre Sourcehut, mon hébergeur, forçant ce dernier à migrer en catastrophe vers une nouvelle infrastructure.</p>
<ul>
<li><a href="https://outage.sr.ht/">Informations à propos de l’attaque contre Sourcehut</a></li>
</ul>
<p>Si j’ai vécu la mise hors-ligne de mon blog comme une amputation, une perte d’une partie de mon identité, je sais fort bien que cela ne me porte aucun préjudice durable, que je ne perds aucune donnée. Ce genre d’incidents font partie de la vie et je tiens à remercier l’équipe de Sourcehut pour la transparence totale et le travail accompli ces derniers jours.</p>
<p>Cet événement m’a également fait prendre conscience à quel point l’œuvre de toute une vie pouvait disparaitre rapidement, dans l’indifférence la plus générale. Si j’espère que mes livres sur arbres morts continueront toujours à tomber aléatoirement d’une étagère ou être découverts chez des bouquinistes, mes écrits en ligne, eux, sont d’éphémères bouteilles à la mer susceptibles de couler dans les abysses de l’oubli au moindre incident.</p>
<p>Cette question m’obsède depuis que je suis papa : comment faire en sorte que mes écrits en ligne me survivent ?</p>
<h2 id="soustitre-1">Nom de domaine et indépendance</h2>
<p>J’espère que mon blog sera encore consultable le jour inévitable où Facebook, Medium et Youtube auront été relégués avec Myspace et Skyblog dans l’armoire des souvenirs historiques du web. Et quand je vois Alias fêter les 15 ans de son blog, je pense ne pas être le seul. Les blogs sont les archives à long terme du web:</p>
<ul>
<li><a href="https://erdorin.org/quinze-ans-de-blogage/">Quinze ans de blogage (erdorin.org)</a></li>
</ul>
<p>Concrètement, je fuis toutes les plateformes propriétaires et je lie tous mes écrits à mon propre nom de domaine : ploum.net. En fait, pour être sûr, je dispose même de trois noms, sur trois premiers niveaux différents: ploum.net, ploum.be, ploum.eu.</p>
<p>À court terme, cela peut être un mauvais calcul: les pages Facebook de mes amis décédés sont encore en ligne alors que les domaines expirent rapidement. Je dois donc préparer la transmission de ces domaines pour assurer qu’ils puissent me survivre.</p>
<h2 id="soustitre-2">Simplicité et minimalisme</h2>
<p>Outre le nom de domaine, la première cause de mise hors ligne d’un site est généralement le manque de maintenance. Un Wordpress piraté, car une mise à jour n’a pas été faite. Une base de données incompatible avec une nouvelle version du CMS. Même les générateurs de sites statiques doivent être mis à jour, avec leur dépendance, et sont parfois abandonnés par les développeurs.</p>
<p>Pour résoudre ce problème, mon blog est depuis décembre 2022 autogénéré et ne produit que du HTML très simple, compatible avec la plupart des navigateurs passés, présents, futurs et sans ambiguïté. Chaque page est complètement indépendante et contient ses propres instructions CSS (42 lignes). Vous pouvez sauver un article de mon blog depuis votre navigateur et le réouvrir n’importe où, même sans connexion. Pas de JavaScript, pas de framework, pas de chargement dynamique, pas de fonte, pas d’appel extérieur. Ça parait extraordinaire de nos jours, mais c’est tellement simple à gérer que je me demande encore pourquoi on se casse la tête à apprendre et maintenir des couches de framework. Penser la pérennité peut avoir des bénéfices immédiats ! </p>
<p>Autre point: je prends le plus grand soin à ce que les URLs de mes posts ne changent pas. Un lien vers un article devrait rester valide aussi longtemps que le nom de domaine existera.</p>
<ul>
<li><a href="/2022-12-04-fin-du-blog-et-derniere-version.html">La dernière version de Ploum.net</a></li>
</ul>
<h2 id="soustitre-3">Sources disponibles et distribuées</h2>
<p>Les sources de mon blog sont écrites au format Gemtext, le format utilisé sur le réseau Gemini. La particularité de ce format est qu’il s’agit essentiellement de texte pur. Aussi longtemps que nous aurons des ordinateurs, ces fichiers pourront être lus.</p>
<p>Mes billets ainsi que le générateur Python pour créer les pages HTML sont disponibles via Git, un outil décentralisé bien connu de tous les développeurs et certainement appelé à exister pour les décennies qui viennent. </p>
<p>La commande </p>
<blockquote> git clone https://git.sr.ht/~lioploum/ploum.net<br></blockquote>
<p>vous donne accès à toutes les sources de mon blog, que vous pouvez générer avec un simple "python publish.py". Cela ne nécessite aucune dépendance particulière autre que Python3.</p>
<p>Mais que faire si sourcehut est indisponible ? Je me rends compte qu’il est nécessaire que je pousse mes sources sur plusieurs miroirs.</p>
<h2 id="soustitre-4">Miroirs ?</h2>
<p>Parlons de miroirs justement. Une copie de mon site, version web et gemini, est disponible sur rawtext.club.</p>
<ul>
<li><a href="https://rawtext.club/~ploum/">Ploum.net sur Rawtext.club (http)</a></li>
<li><a href="gemini://rawtext.club/~ploum/">Ploum.net sur rawtext.club (gemini)</a></li>
</ul>
<p>Mais ce miroir est « accidentel ». Rawtext.club est un petit serveur géré par un passionné que je remercie chaleureusement. C’est grâce à lui que j’ai pu explorer l’univers Gemini. Je ne peux lui imposer un hébergement sérieux ni compter sur sa pérennité.</p>
<p>Sebsauvage me fait également l’immense honneur de maintenir une copie de mes publications, pour le cas où je serais forcé de retirer du contenu:</p>
<ul>
<li><a href="https://sebsauvage.net/streisand.me/ploum/">Ploum sur streisand.me</a></li>
</ul>
<p>Pour le futur, je réalise aujourd’hui qu’il serait pertinent que je trouve un hébergeur autre que Sourcehut, pouvant être synchronisé par Git et offrant également un hébergement Gemini. Je pourrais rediriger ploum.be ou ploum.eu vers ce serveur de secours.</p>
<h2 id="soustitre-5">Les mailing-lists</h2>
<p>Si j’avoue préférer le RSS pour mon usage personnel, force est de constater que les mailing-listes offrent un avantage : vous gardez une copie de tous les anciens billets dans votre boîte mail. Chaque nouvel abonné est donc, sans le savoir, un nouvel archiviste de mes écrits.</p>
<ul>
<li><a href="https://listes.ploum.net/mailman3/postorius/lists/fr.listes.ploum.net/">Mailing-list en français</a></li>
<li><a href="https://listes.ploum.net/mailman3/postorius/lists/en.listes.ploum.net/">Mailing-list en anglais</a></li>
</ul>
<p>J’envoie d’ailleurs une version "text-only" (pas de HTML) sur une seconde mailing-list dont les archives sont publiques. Défaut majeur : contrairement aux mailing-listes précitées, ces archives text-only sont hébergées par… Sourcehut, le même hébergeur que mon blog !</p>
<ul>
<li><a href="https://lists.sr.ht/~lioploum/fr">Mailing-list text-only en français</a></li>
<li><a href="https://lists.sr.ht/~lioploum/en">Mailing-list text-only en anglais</a></li>
</ul>
<h2 id="soustitre-6">Le futur</h2>
<p>Le protocole Internet (IP) a été conçu à une époque où on pensait que le stockage serait toujours très coûteux, mais que la bande passante serait essentiellement gratuite. Le principe d’IP est donc de transmettre aussi vite que possible les paquets de données et de tout oublier instantanément. </p>
<p>En conséquence, les protocoles s’appuyant sur IP, comme Gemini et HTTPS, sont particulièrement fragiles. La perte d’un seul serveur peut signifier la disparition définitive de sites entiers.</p>
<p>De nouveaux protocoles ou de nouveaux usages sont nécessaires pour transformer Internet depuis le simple "échange de données temps réels" en "archive planétaire". Cet usage d’archive planétaire va bien entendu à l’encontre des intérêts financiers actuels qui souhaitent que vous payiez, directement ou à travers la pub, à chaque fois que vous consultez le même contenu. Le « copyright », comme son nom l’indique, cherche à empêcher toute copie ! Mais, petit à petit, des solutions apparaissent, qu’elles soient nouvelles comme IPFS ou qu’il s’agissent de réflexion sur une utilisation de technologies préexistantes.</p>
<ul>
<li><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/InterPlanetary_File_System">Présentation de IPFS sur Wikipédia</a></li>
<li><a href="gemini://zaibatsu.circumlunar.space/~solderpunk/gemlog/low-budget-p2p-content-distribution-with-git.gmi">Low budget P2P content distribution with git (solderpunk)</a></li>
</ul>
<p>Tout cela est encore expérimental, mais je garde un œil et réfléchis à rendre ploum.net disponible sur IPFS.</p>
<h2 id="soustitre-7">Le présent</h2>
<p>La pérennité des contenus en ligne est une quête complexe et longue haleine. Je vous invite à y penser pour vos propres créations. Que voulez-vous qu’il reste de vous en ligne dans quelques années ?</p>
<p>Paradoxalement, nous laissons trop de traces involontaires (des données personnelles, des commentaires écrits sous le coup de la colère, des critiques de produits sur Amazon) et nous perdons trop facilement ces œuvres auxquelles nous accordons de l’importance (combien de vidéos personnelles disparaitront avec la fin inéluctable de Youtube ?). J’ai moi-même le regret d’avoir perdu beaucoup de textes rédigés et publiés un peu partout avant l’existence de ce blog ou cédant aux sirènes de la mode, postés sur Google+, Facebook ou Medium.</p>
<p>J’en ai retenu une leçon majeure : on ne sait a priori pas quels contenus seront importants pour notre futur moi. Il est également primordial de dater les contenus. Avec l’année. Je ne compte plus les fiches de notes que j’ai retrouvées, mais que je peux ne raccrocher à rien, ne sachant même pas estimer à quelle année voire à quel lustre le texte se rapporte. Cette leçon est également ce qui motive ma tentative de pérennisation de mes écrits : je n’ai pas l’impression de n’avoir jamais écrit quelque chose qui mérite une préservation éternelle. Mais un historien du futur pourrait peut-être un jour trouver dans les écrits de ce blogueur obscur et oublié une information cruciale, glissée par hasard dans un billet et lui permettant de comprendre certains paradoxes de notre époque. </p>
<p>Pour cette mission, la technologie qui semble la plus robuste, la plus résistante pour traverser les siècles voire les millénaires reste le livre. Livres que ma famille collectionne et accumule dans tous les coins de notre logis. Des milliers d’auteurs, vivants ou morts, mondialement connus ou obscurs, qui continuent chaque jour à nous parler !</p>
<p>Si vous souhaitez m’aider dans ma quête de pérennité, je vous invite à acquérir, prêter, offrir ou abandonner sur un banc mes livres. </p>
<p>Car lorsque les ordinateurs seront éteints, seuls continueront à nous bercer, à nous parler les mots gravés sur le papier, ces éphémères imaginaires survivants à la prétention d’immortalité des corps décomposés. </p>
<div class="signature"><p>Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.</p>
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</div>
Ploumhttps://ploum.netLe bateau de bois de chauffagehttps://ploum.net/2023-12-13-le-bateau-de-bois-de-chauffage.html2023-12-13T00:00:00Z2023-12-13T00:00:00Z
<h1>Le bateau de bois de chauffage</h1>
<p>Il était une fois un groupe d’humains perdus au milieu d’un gigantesque océan. Aussi loin que remontait la mémoire, le gigantesque bateau de bois avait toujours navigué, aucune terre n’ayant jamais été trouvée ni même aperçue. </p>
<p>Le temps n’était jamais glacial, mais jamais trop chaud non plus. Souvent, un petit vent frisquet parcourait les cabines. Pour se réchauffer, les passagers de première classe avaient engagé ceux de troisième classe, les chargeant de découper le bois de la coque afin de le brûler dans leurs énormes poêles. Comme les cabines étaient bien plus confortables chauffées, l’idée vint aux premières classes de revendre aux passagers de seconde classe l’excédent du bois. </p>
<p>Le marché était juteux. Une partie de la tuyauterie du navire fut reconvertie en poêle à bois vendus à très bon prix afin d’équiper les cabines des secondes.</p>
<p>Naturellement, le bateau prenait désormais l’eau de partout. Un original aux cheveux en bataille émit l’idée d’arrêter de découper la coque si l’on ne voulait pas couler.</p>
<p>— Et mes profits ? dirent les premières.<br>
— Et mon chauffage ? dirent les secondes.<br>
— Et mon boulot ? dirent les troisièmes.<br>
— Ben je ne sais pas trop. On pourrait mettre des pulls ?<br>
– Ahaha, ricanèrent les premières. Un original qui ne connait rien au brûlage du bois et voudrait nous faire la leçon avec un pull !</p>
<p>Un instant désarçonné, l’original s’entêta.<br>
— N’empêche que là, on coule. Les troisièmes classes seront bientôt sous eau.<br>
— Tu as raison, déclara le capitaine. C’est une problématique importante. J’organise immédiatement une réunion dans le salon des premières classes. Nous envisagerons une solution.</p>
<p>Lorsqu’il redescendit quelques heures plus tard, le ventre bombé de petits-fours, le capitaine se fit interpeller par l’original qui s’était vu refuser l’accès au pont des premières.<br>
— Alors capitaine ? Qu’allons-nous faire pour éviter que le bateau coule ?<br>
— La réunion fut très productive. Nous allons construire désormais des poêles plus performants pour équiper les cabines qui n’en ont pas encore et pourront dès lors se chauffer avec moins de bois. D’ailleurs, nous envisageons de réduire graduellement la vitesse avec laquelle nous débitons le bois de la coque. Cela ne va pas plaire aux troisièmes, qui auront moins de travail, ni aux secondes, car le bois sera plus cher afin de compenser la perte de profit, mais il faut ce qu’il faut pour sauver le navire.<br>
— Capitaine, vous êtes sûr que cela sera suffisant pour éviter de couler ?<br>
— Ne t’inquiète pas, sourit malicieusement le capitaine. On a également demandé aux deuxièmes classes d’imaginer des pompes pour extraire l’eau du navire. Il y en a bien un qui va nous inventer ça, non ?<br>
— Mais le temps presse…<br>
— Et puis, qui sait… Si ça se trouve, on va bientôt découvrir un rivage, aborder une terre. Pourquoi s’en faire ?<br>
— Pourquoi, en effet, murmura piteusement l’original en retirant ses chaussettes pour les essorer alors que l’eau commençait à monter dans les coursives.</p>
<ul>
<li><a href="https://unsplash.com/fr/photos/deux-hommes-assis-sur-un-bateau-brun-mrm0PbFvllk">Photo d’illustration par Patrick Hendry</a></li>
</ul>
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Ploumhttps://ploum.netSF en VF, le coffret pour découvrir la science-fiction européennehttps://ploum.net/2023-12-12-sf-en-vf.html2023-12-12T00:00:00Z2023-12-12T00:00:00Z
<h1>SF en VF, le coffret pour découvrir la science-fiction européenne</h1>
<p>« C’est l’histoire d’un écrivain belge, un écrivain suisse et un écrivain français qui vont en boîte. »</p>
<p>Bon, vu comme ça, ça ressemble à une blague. Mais attendez, ce n’est que le début ! Parce que les trois écrivains ont commis chacun un livre de science-fiction francophone et que si on assemble tous les titres de ces livres, on a, en tout et pour tout, un seul mot de français : le mot « projet ».</p>
<p>Excellente blague, non ?</p>
<p>L’histoire en question, c’est celle d’une boîte, ou plutôt un coffret intitulé « SF en VF » contenant trois romans de science-fiction francophone. Une idée parfaite de cadeau pour offrir ou se faire offrir si l’on souhaite découvrir ou faire découvrir la science-fiction européenne.</p>
<p>Trois livres, trois visions de la science-fiction.</p>
<p>Tout d’abord avec Ploum, le Belge qui pense qu’il faut un titre à consonance anglophone pour faire de la SF, mais ne peut s’empêcher de le franciser : « Printeurs ». Un roman dystopique et cyberpunk sur la face cachée du capitalisme de surveillance : publicités envahissantes, vie privée réduite à néant, attentats sponsorisés, chômeurs hypnotisés par les stars du petit écran tandis qu’en coulisses, les esclaves se tuent à la tâche pour produire les biens de consommation jetables.</p>
<p>On enchaîne ensuite avec le Suisse, Pascal Lovis et son « Projet Idaho ». Le seul titre en français. L’histoire d’un homme en vacances qui se réveille après une cuite magistrale et constate qu’il n’a plus de connexion au réseau. Plus de contacts. Plus d’amis. Et littéralement plus de chambre d’hôtel. Mais, très vite, l’histoire va prendre un tournant inattendu et vous entrainer dans un space opera endiablé. Le second tome, « Mémoires Spectrales », est disponible et clôt le cycle. Il explique également la raison du nom « Idaho » (car moi, je n’avais pas compris la référence à Dune).</p>
<p>Pour terminer en beauté, l’incontournable Thierry Crouzet et le premier tome de son projet démentiel : « One Minute ». Parce que ça pète plus en anglais. Pas de héros. Pas de trame narrative traditionnelle. Ici, le lecteur est invité à vivre et à revivre la même minute de l’histoire de la planète. Celle où l’humanité a soudainement compris, de Paris à Bangkok et de New York à Ouagadougou, qu’elle n’était plus seule. Qu’elle était en contact avec une intelligence extra-terrestre. </p>
<p>Trois livres. Trois pays. Trois accents. Trois histoires. Trois futurs.</p>
<p>Bref, un triple cadeau dans un superbe coffret argenté, à commander chez votre libraire ou, si ce n’est pas possible, directement sur le site de l’éditeur. Mais soutenez votre librairie favorite, elle en a bien besoin !</p>
<ul>
<li><a href="https://pvh-editions.com/shop/collection-ludomire/268-selection-ludomire-sf-en-vf-9782940609253.html">Commandez « SF en VF » chez PVH Éditions</a></li>
</ul>
<figure>
<a href="/files/sfenvf.jpg"><img alt="Le coffret « SF en VF » et les trois livres qui le composent" src="/files/sfenvf.jpg" width="450" class="center"></a>
<figcaption>Le coffret « SF en VF » et les trois livres qui le composent</figcaption>
</figure>
<p>Notez que Pascal Lovis, le grand mage mauve, fait également partie du coffret régional « Fantasy Suisse » avec Aequilegia Nox et Stéphane Paccaud. De la magie et de la fantasy qui sent bon la raclette.</p>
<ul>
<li><a href="https://pvh-editions.com/shop/collection-ludomire/265-selection-ludomire-fantasy-suisse-9782940609178.html">Commandez « Fantasy Suisse » chez PVH Éditions</a></li>
</ul>
<div class="signature"><p>Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.</p>
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Ploumhttps://ploum.netPourquoi sommes-nous tellement accros à Google Maps et Waze ?https://ploum.net/2023-11-03-logiciels-de-navigation.html2023-11-03T00:00:00Z2023-11-03T00:00:00Z
<h1>Pourquoi sommes-nous tellement accros à Google Maps et Waze ?</h1>
<p>S’il y’a bien un logiciel propriétaire difficile à lâcher, c’est Google Maps. Ou Waze, qui appartient également à Google. Pourquoi est-ce si compliqué de produire un logiciel de navigation libre ? Ayant passé quelques années dans cette industrie, je vais vous expliquer les différents composants d’un logiciel de navigation.</p>
<p>Les briques de base d’un logiciel de navigation sont la position, les données, le mapmatching, le routing, la recherche et les données temps réel. Pour chaque composant, je propose une explication et une analyse des solutions libres.</p>
<h2 id="soustitre-1">La position</h2>
<p>Le premier composant est un système de positionnement qui va fournir une coordonnée géographique avec, parfois, un degré de précision. Une longitude et une latitude, tout simplement.</p>
<p>Il existe plusieurs manières d’estimer une position. Le plus connu est le GPS qui capte des ondes émises par les satellites du même nom. Contrairement à une idée tenace, votre téléphone n’émet rien lorsqu’il utilise le GPS, il se contente d’écouter les signaux GPS tout comme une radio FM écoute les ondes déjà présentes. Votre téléphone n’a de toute façon pas la puissance d’émettre jusqu’à un satellite. Les satellites GPS sont, au plus près, à 20.000 km de vous. Vous croyez que votre téléphone puisse envoyer un signal à 20.000 km ?</p>
<p>Pour simplifier à outrance, le principe d’un satellite GPS est d’émettre en permanence un signal avec l’heure qu’il est à son bord. Votre téléphone, en captant ce signal, compare cette heure avec sa propre horloge interne. Le décalage entre les deux permet de mesurer la distance entre le téléphone et le satellite, sachant que l’onde se déplace à la vitesse de la lumière, une onde radio n’étant que de la lumière dans un spectre invisible à l’œil humain. En refaisant cette opération pour trois satellites dont la position est connue, le téléphone peut, par triangulation, connaître sa position exacte.</p>
<p>Fait intéressant: ce calcul n’est possible qu’en connaissant la position des satellites GPS. Ces positions étant changeantes et difficilement prévisibles à long terme, elles sont envoyées par les satellites eux-mêmes, en plus de l’heure. On parle des « éphémérides ». Cependant, attendre l’envoi des éphémérides complètes peut prendre plusieurs minutes, le signal GPS ne pouvant envoyer que très peu de données.</p>
<p>C’est la raison pour laquelle un GPS éteint depuis longtemps mettra un long moment avant d’afficher sa position. Un GPS éteint depuis quelques heures seulement pourra réutiliser les éphémérides précédentes. Et pour votre smartphone, c’est encore plus facile : il profite de sa connexion 4G ou Wifi pour télécharger les éphémérides sur Internet et vous offrir un positionnement (un « fix ») quasi instantané.</p>
<p>Le système GPS appartient à l’armée américaine. Le concurrent russe s’appelle GLONASS et la version civile européenne Galileo. La plupart des appareils récents supportent les trois réseaux, mais ce n’est pas universel.</p>
<p>Même sans satellite, votre smartphone vous positionnera assez facilement en utilisant les bornes wifi et les appareils Bluetooth à proximité. De quelle manière ? C’est très simple : les appareils Google et Apple envoient, en permanence, à leur propriétaires respectifs (les deux entreprises susnommées) votre position GPS ainsi que la liste des wifi, appareils Bluetooth et NFC dans le voisinage. Le simple fait d’avoir cet engin nous transforme un espion au service de ces entreprises. En fait, de nombreux engins espionnent en permanence notre position pour revendre ces données.</p>
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<li><a href="https://doubleagent.net/2023/05/21/a-car-battery-monitor-tracking-your-location">Exemple d’un moniteur de batterie de voiture Bluetooth qui collecte les données de position à l’insu de son propriétaire.</a></li>
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<p>Si on coupe le GPS d’un appareil Android Google, celui-ci se contentera d’envoyer une requête à Google sous la forme : « Dis, je ne connais pas ma position, mais je capte le wifi grandmaman64 et superpotes89 ainsi qu’une télé Samsung compatible Bluetooth, t’aurais pas une idée d’où je suis ? ». Réponse : « Ben justement, j’ai trois utilisateurs qui sont passés hier près de ces wifis et de cette télé, ils étaient dans la rue Machinchose. Donc tu es probablement dans la rue Machinchose. » Apple fait exactement pareil.</p>
<p>Quelle que soit la solution utilisée, GPS ou autre, la position d’un smartphone est fournie par le système d’exploitation et ne pose donc aucun problème au développeur d’application. C’est complètement transparent, mais l’obtention d’une position sera parfois légèrement plus longue sans les services Google ou Apple propriétaires décrits ci-dessus. </p>
<h2 id="soustitre-2">Les datas (données cartographiques)</h2>
<p>Ce n’est pas tout d’avoir une position, encore faut-il savoir à quoi elle correspond. C’est le rôle des données cartographiques, souvent appelées "data" dans l’industrie.</p>
<p>Obtenir des données cartographiques est un boulot inimaginable qui, historiquement, impliquait de faire rouler des voitures sur toutes les routes d’un pays, croisant les données avec la cartographie officielle puis mêlant cela aux données satellites. Dans les années 2000, deux fournisseurs se partageaient un duopole (Navteq, acquis par Nokia en 2007 et TeleAtlas, acquis par Tomtom en 2008). Google Maps utilisait d’ailleurs souvent des données issues de ces fournisseurs (ainsi que tous les GPS de l’époque). Dans certaines régions, le logo Navteq était même visible sur la cartographie Google Maps. Mais plutôt que de payer une fortune à ces entreprises, Google a décidé de lancer sa propre base de données, envoyant ses propres voitures sur les routes (et profitant de l’occasion pour lancer Google Street View).</p>
<p>La toute grande difficulté des data, c’est qu’elles changent tout le temps. Les sentiers et les chemins se modifient. Des routes sont ouvertes. D’autres, fermées. Des constructions se font, des quartiers entiers apparaissent alors qu’une voie se retrouve à sens unique. Parcourir la campagne à vélo m’a appris que chaque jour peut être complètement différent. Des itinéraires deviennent soudainement impraticables pour cause de ronces, de fortes pluies ou de chutes d’arbres. D’autres apparaissent comme par magie. C’est un peu moins rapide pour les automobilistes, mais tentez de traverser l’Europe avec une carte d’une dizaine d’années et vous comprendrez votre douleur.</p>
<p>En parallèle de ces fournisseurs commerciaux est apparu le projet OpenStreetMap que personne ne voulait prendre au sérieux dans l’industrie. On m’a plusieurs fois ri au nez lorsque j’ai suggéré que cette solution était l’avenir. Tout comme Universalis ne prenait pas Wikipédia au sérieux.</p>
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<a href="/files/osm_lln.jpg"><img alt="Ma région sur OpenStreetMap" src="/files/osm_lln.jpg" width="450" class="center"></a>
<figcaption>Ma région sur OpenStreetMap</figcaption>
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<p>Le résultat, nous le connaissons : OpenStreetMap est aujourd’hui la meilleure base de données cartographiques pour la plupart des cas d’usage courant. À tel point que les géants comme Waze n’hésitent pas à les repomper illégalement. Sebsauvage signale le cas d’un contributeur OSM qui a sciemment inventé un parc de toutes pièces. Ce parc s’est retrouvé sur Waze…</p>
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<li><a href="https://sebsauvage.net/links/?drfIkA">Sebsauvage: j’ai un problème avec Waze</a></li>
</ul>
<p>Mais les applications utilisant OpenStreetMap doivent faire face à un gros défi : soit demander à l’utilisateur de charger les cartes à l’avance et de les mettre à jour régulièrement, soit de les télécharger au fur et à mesure, ce qui rend l’utilisation peu pratique (comment calculer un itinéraire ou trouver une adresse dans une zone dont on n’a pas la carte ?). Le projet OpenStreetMaps est en effet financé essentiellement par les dons et ne peut offrir une infrastructure de serveurs répondant immédiatement à chaque requête, chose que Google peut confortablement se permettre.</p>
<h2 id="soustitre-3">Le mapmatching</h2>
<p>Une fois qu’on a la carte et la position, il suffit d’afficher la position sur la carte, non ? Et bien ce n’est pas aussi simple. Tout d’abord parce que la planète est loin de correspondre à une surface plane. Il faut donc considérer la courbure de la terre et le relief. Mais, surtout, le GPS tout comme les données cartographiques peuvent avoir plusieurs mètres d’imprécision.</p>
<p>Le mapmatching consiste à tenter de faire coïncider les deux informations : si un GPS se déplace à 120km/h sur une ligne parallèle située à quelques mètres de l’autoroute, il est probablement sur l’autoroute ! Il faut donc corriger la position en fonction des données.</p>
<p>En ville, des hauts bâtiments peuvent parfois refléter le signal GPS et donc allonger le temps de parcours de celui-ci. Le téléphone croira alors être plus loin du satellite que ce n’est réellement le cas. Dans ce genre de situation, le mapmatching vous mettra dans une rue parallèle. Cela vous est peut-être déjà arrivé et c’est assez perturbant.</p>
<p>Une autre application du mapmatching, c’est de tenter de prédire la position future, par exemple dans un tunnel. La position GPS, de par son fonctionnement, introduit en effet une latence de quelques secondes. Dans une longue ligne droite, ce n’est pas dramatique. Mais quand il s’agit de savoir à quel embranchement d’un rond-point tourner, chaque seconde est importante.</p>
<p>Le logiciel peut alors tenter de prédire, en fonction de votre vitesse, votre position réelle. Parfois, ça foire. Comme lorsqu’il vous dit que vous avez déjà dépassé l’embranchement que vous devez prendre alors que ce n’est pas le cas. Ou qu’il vous dit de tourner dans trente mètres alors que vous êtes déjà passé.</p>
<h2 id="soustitre-4">La recherche</h2>
<p>On a la position sur la carte qui est, le plus souvent, notre point de départ. Il manque un truc important: le point d’arrivée. Et pour trouver le point d’arrivée, il faut que l’utilisateur l’indique.</p>
<p>Les recherches géographiques sont très compliquées, car la manière dont nous écrivons les adresses n’a pas beaucoup de sens : on donne le nom de la rue avant de donner la ville avant de donner le pays ! Dans les voitures, la solution a été de forcer les utilisateurs à entrer leurs adresses à l’envers: pays, ville, rue, numéro. C’est plus logique, mais nous sommes tellement habitués à l’inverse que c’est contre-intuitif.</p>
<p>Le problème de la recherche dans une base de données est un problème très complexe. Avec les applications OpenStreetMap, la base de données est sur votre téléphone et votre recherche est calculée par le minuscule processeur de ce dernier.</p>
<p>Ici, Google possède un avantage concurrentiel incommensurable. Ce n’est pas votre téléphone qui fait la recherche, mais bien les gigantesques serveurs de Google. Tapez "rue Machinchose" et la requête est immédiatement envoyée à Google (qui en profite pour prendre note dans un coin, histoire de pouvoir utiliser ces informations pour mieux vous cibler avec des publicités). Les ordinateurs de Google étant tellement rapide, ils peuvent même tenter d’être intelligent: il y’a 12 rue Machinchose dans tout le pays, mais une MachinChause, avec une orthographe différente, dans un rayon de 10km, on va donc lui proposer celle-là. Surtout que, tient, nous avons en mémoire qu’il s’est rendu 7 fois dans cette rue au cours des trois dernières années, même sans utiliser le GPS. </p>
<p>Force est de constater que les applications libres qui font la recherche sur votre téléphone ne peuvent rivaliser en termes de rapidité et d’aisance. Pour les utiliser, il faut s’adapter, accepter de refaire la recherche avec des orthographes différentes et d’attendre les résultats.</p>
<h2 id="soustitre-5">Le routing</h2>
<p>On a le départ, on a l’arrivée. Maintenant il s’agit de calculer la route, une opération appelée « routing ». Pour faire du routing, chaque tronçon de route va se voir attribuer différentes valeurs : longueur, temps estimé pour le parcourir, mais aussi potentiellement le prix (routes payantes), la beauté (si on veut proposer un trajet plus agréable), le type de revêtement, etc.</p>
<p>L’algorithme de routing va donc aligner tous les tronçons de route entre le départ et l’arrivée, traçant des centaines ou des milliers d’itinéraires possibles, calculant pour chaque itinéraire la valeur totale en additionnant les valeurs de chaque tronçon.</p>
<p>Il va ensuite sélectionner l’itinéraire avec la meilleure valeur totale. Si on veut le plus rapide, c’est le temps total estimé le plus court. Si on veut la distance, c’est la distance la plus courte, etc.</p>
<p>À mon époque, l’algorithme utilisé était le plus souvent de type « Bidirectionnal weighted A-star ». Cela signifie qu’on commence à la fois du départ et de l’arrivée, en explorant jusqu’au moment où les chemins se rencontrent et en abandonnant les chemins qui sont déjà de toute façon disqualifiés, car un plus court existe (oui, on peut aller de Bruxelles à Paris en passant par Amsterdam, mais ce n’est pas le plus efficace).</p>
<p>Une fois encore, le problème est particulièrement complexe et votre téléphone va prendre un temps énorme à calculer l’itinéraire. Alors que les serveurs de Google vont le faire pour vous. Google Maps ne fait donc aucun calcul sur votre téléphone : l’application se contente de demander aux serveurs Google de les faire à votre place. Ceux-ci centralisent les milliers d’itinéraires demandés par les utilisateurs et les réutilisent parfois sans tout recalculer. Quand on est un monopole, il n’y a pas de petits profits.</p>
<h2 id="soustitre-6">Les données temps réels</h2>
<p>Mais si on veut le trajet le plus rapide en voiture, une évidence saute aux yeux: il faut éviter les embouteillages. Et les données concernant les embouteillages sont très difficiles à obtenir en temps réel.</p>
<p>Sauf si vous êtes un monopole qui se permet d’espionner une immense majorité de la population en temps réel. Il vous suffit alors, pour chaque tronçon de route, de prendre la vitesse moyenne des téléphones qui sont actuellement sur ce tronçon.</p>
<p>L’artiste Simon Weckert avait d’ailleurs illustré ce principe en promenant 99 smartphones connectés sur Google maps dans un chariot. Le résultat ? Une rue déserte est devenue un embouteillage sur Google Maps.</p>
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<a href="/files/weckert4.jpg"><img alt="Simon Weckert créant un embouteillage sur Google Maps en tirant 99 smartphones dans un petit chariot" src="/files/weckert4.jpg" width="450" class="center"></a>
<figcaption>Simon Weckert créant un embouteillage sur Google Maps en tirant 99 smartphones dans un petit chariot</figcaption>
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<li><a href="https://www.simonweckert.com/googlemapshacks.html">La performance Google Maps de Simon Weckert</a></li>
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<p>Là, force est de constater qu’il est difficile, voire impossible, de fournir ces données sans espionner massivement toute la population. À ce petit jeu, les alternatives libres ne pourront donc jamais égaler un monopole de surveillance comme celui de Google.</p>
<p>Mais tout n’est pas noir, car, contrairement à ce qu’on pourrait croire, les infos trafic ne nous permettent pas d’aller plus vite. Elles donnent une illusion d’optimalité qui empire le trafic sur les itinéraires alternatifs et, au final, le temps perdu reste identique. Le seul avantage est que la prévision du temps de trajet est grandement améliorée.</p>
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<li><a href="https://hardfault.life/p/organic-maps-review">Une expérience du routing sur Organic Maps</a></li>
<li><a href="https://trid.trb.org/view/1495267">Une étude démontrant que les infotrafics ne font que modifier le problème sans le résoudre.</a></li>
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<p>Ce résultat résulte de ce que j’appelle le paradoxe de l’embouteillage. C’est un fait bien connu des scientifiques et ignoré à dessein des politiciens que le trafic automobile est contre-intuitif. Au plus la route est large et permet à de nombreux véhicules de passer, au plus les embouteillages seront importants et la circulation chaotique. Si votre politicien propose de rajouter une bande sur le périphérique pour fluidifier la circulation, changez de politicien !</p>
<p>L’explication de ce phénomène tient au fait que lorsqu’il y’a un embouteillage sur le périphérique, ce n’est pas le périphérique qui bouche. C’est qu’il y’a plus de voitures qui rentrent sur le périphérique que de voitures qui en sortent. Or, les sorties restent et resteront toujours limitées par la taille des rues dans les villes.</p>
<p>En bref, un embouteillage est causé par le goulot d’étranglement, les parties les plus étroites qui sont, le plus souvent, les rues et ruelles des différentes destinations finales. Élargir le périphérique revient à élargir le large bout d’un entonnoir en espérant qu’il se vide plus vite. Et, de fait, cela rend les choses encore pires, car cela augmente le volume total de l’entonnoir, ce qui fait qu’il contient plus d’eau et mettra donc plus longtemps à se vider.</p>
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<a href="/files/weckert2.jpg"><img alt="99 smartphones dans un bac à roulette: c’est tout ce que nous sommes pour Google" src="/files/weckert2.jpg" width="450" class="center"></a>
<figcaption>99 smartphones dans un bac à roulette: c’est tout ce que nous sommes pour Google</figcaption>
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<p>Les infotrafics et les itinéraires alternatifs proposés par Google Maps ne font pas autre chose que de rajouter une bande de trafic virtuelle (sous forme d’un itinéraire alternatif) et donc élargissent le haut de l’entonnoir. Les infos trafic restent utiles dans les cas particuliers où votre destination est complètement différente du reste de la circulation. Où si la congestion apparait brusquement, comme un accident : dans ce cas, vous pourriez avoir le bénéfice rare, mais enviable d’emprunter l’itinéraire de secours juste avant sa congestion.</p>
<p>La plupart du temps, les infotrafics sont globalement contre-productifs par le simple fait que tout le monde les utilise. Elles seraient parfaites si vous étiez la seule personne à en bénéficier. Mais comme tout le monde les utilise, vous êtes également obligé de les utiliser. Tout le monde y perd.</p>
<p>Leur impact premier est surtout psychologique: en jouant avec les itinéraires alternatifs, vous pouvez vous convaincre que vous n’avez pas d’autre choix que prendre votre mal en patience. Alors que, sans eux, vous serez persuadés qu’il y’a forcément une autre solution.</p>
<h2 id="soustitre-7">Les logiciels</h2>
<p>Alors, se passer de Google Maps ? Comme nous l’avons vu, ce n’est pas évident. Le service Google Maps/Waze se base sur l’espionnage permanent et instantané de milliards d’utilisateurs, offrant une précision et une rapidité insurpassable. Quand on y pense, le coût de ce confort est particulièrement élevé. Et pourtant, Google Maps n’est pas la panacée.</p>
<p>J’ai personnellement un faible pour Organic Maps, que je trouve bien meilleur que Google Maps pour tout à l’exception du trafic routier : les itinéraires à pieds, en vélo et même en voiture hors des grands axes sont bien plus intéressants. Certes, il nécessite de télécharger les cartes. Inconvénient, selon moi, mineur, car permettant une utilisation même sans connexion. La recherche est, par contre, souvent frustrante et lente. </p>
<p>Mais le mieux est peut-être d’explorer les alternatives libres à Google Maps dans cet excellent article de Louis Derrac.</p>
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<li><a href="https://louisderrac.com/2023/05/5-alternatives-a-google-maps-et-les-autres/">5 alternatives à Google Maps, par Louis Derrac</a></li>
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<p>Et puis, pourquoi ne pas lutter contre la privatisation du bien commun qu’est la cartographie en apprenant à contribuer à OpenStreetMap ?</p>
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<li><a href="https://www.openstreetmap.fr/se-former-a-openstreetmap/">Se former à OpenStreetMap</a></li>
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<li><a href="https://unsplash.com/fr/photos/globe-de-bureau-marron-et-bleu-IfYgg7ZLEQw">La photo d’illustration est de Al Soot, sur Unsplash</a></li>
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<div class="signature"><p>Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.</p>
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