Ze vibrating life of ze moules… (TOME VII)

par Ploum le 2005-06-13

Si, de passage dans la région, vous décidez de jeter un coup d’oeil curieux au musée médiéval de Necy, en basse Lorraine, vous pourriez être interpellé par un magnifique linteau de style roman représentant deux reines assises sur des trônes et se donnant la main. À coté de la vitrine, le panneau sibyllin ne fera qu’accroître le mystère : Ancien linteau de l’Hôtel de Ville représentant le règne des deux reines. Et si, d’aventures, vous questionnez le conservateur au sujet de cette légende des deux reines, il vous répondra d’un ton bourru par un juron typique popularisé lors de perte de l’indépendance de la ville :
– À Necy, guigne règne !

La légende, tout comme ces nombreuses anecdotes qui clairsèment le grand fleuve de l’Histoire, n’a jamais pu être infirmée ou confirmée mais fait le charme de la région et la fierté de ses habitants.

À cette époque, l’Europe féodale n’était qu’amas de petits royaumes et seigneuries. L’isolement relatif de Necy, en dehors de toute route commerciale, en avait fait un petit havre de paix à l’abri des envies belliqueuses de ses voisins. Mais ce qui faisait sans aucun conteste l’originalité de ce minuscule royaume était la méthode par laquelle les habitants choisissaient un nouveau roi à la mort du souverain régnant.

Le jour même du deuil, chaque citoyen de Necy pouvait venir au château et désigner n’importe quel autre citoyen qu’il souhaitait voir accéder au pouvoir. Bien évidemment, chaque citoyen ne disposait que d’une seule désignation possible et celle-ci devait obligatoirement favoriser une personne extérieure à sa propre famille. La faible population de Necy et son administration performante permettait de garantir le respect de ces règles. Finalement, 24 heures après le décès du souverain, le héraut royal tirait au sort parmi les propositions le nom du prochain souverain régnant. Pour être tout à fait exact, les propositions pouvaient concerner aussi bien un individu isolé qu’un couple légalement marié.

Une fois désigné, le citoyen ou le couple élu devait se choisir un nom de règne, composé de deux prénoms en lieu et place de son prénom usuel. (rappelons qu’en cette époque, l’usage des noms de famille n’était pas encore répandu) Il était de coutume de choisir les noms de ses deux parents. Une fois le choix entériné, le futur roi signait l’acte de couronnement de son nouveau nom, acte aussitôt déclamé à la foule depuis le balcon royal par le héraut. Cet acte, et lui seul, avait force de loi. Le héraut jouissait donc d’un pouvoir et d’une notoriété non négligeable. Une fois le nom du ou des nouveaux souverains prononcé publiquement, rien ne pouvait plus modifier la politique de Necy que la mort du ou des souverains en question.

Or, la légende veut que la succession de Jehan-Blanche, septième roi de Necy, fût le théâtre d’un bien étrange malentendu.

L’heureuse élue fut en effet une jeune couturière très timide et presqu’illetrée. Nul ne sut qui l’avait proposé, mais le fait était bien là. Le jeune femme, prénomée Anne, fut donc emmenée au château. Lorsqu’on lui demanda de choisi son nom de règne, la pauvrette n’osa pas faire dans l’originalité et choisit donc le nom de ses parents : Guy et Ninne, tous deux agriculteurs.

L’ambiance était très tendue dans le château, et Anne n’osa révéler sa difficulté à écrire. Aussi, l’acte de couronnement entre les mains, elle tenta de s’appliquer. Mais le stress fût trop important et elle concatena les deux prénoms, signant « Guyne ». Affolée par son erreur, elle la ratura légèrement et signa ensuite correctement « Guy-Ninne ». Le héraut se saisit alors du parchemin et déclama sur le balcon le nom de la…des souveraines ! En effet, la rature étant trop faible, aussi il déclama sans réfléchir :
– Guyne et Guy-Ninne, reines et suzeraines de Necy !
Pourquoi pas après tout ? Rien n’empêchait un couple homosexuel d’être élu.

L’erreur ne pouvait être légalement corrigée et Anne règna donc pendant 37 ans sous deux noms différents. Elle s’affirma et son règne, connu sous le nom du « règne des deux reines », fut l’un des plus prospères que Necy aie connu. On raconte même que le roi de France tomba éperdument amoureux d’Anne, mais qu’elle refusa ses avances pour se consacrer à son Royaume.

Leçon d’anglais n°3 : Anne signe Guyne, signe Guy-Ninne : 2 reines !

Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.

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