La légèreté d’un monde sans Twitter
par Ploum le 2022-11-01
Il y a un peu moins d’un an, j’ai supprimé mon compte Twitter. Un compte vérifié avec la célèbre icône bleue, suivi par près de 7000 autres comptes Twitter.
Si ce n’est pas exceptionnel, ce compte n’en était pas moins relativement "influent" sur l’échelle Twitter. J’ai pourtant décidé de tenter l’expérience de m’en passer complètement, pour voir. Je savais que j’avais un an pour faire marche arrière. Durant un an, mon compte serait "réactivable" avant d’être définitivement supprimé. Il me reste donc quelques semaines pour changer d’avis.
Et pourtant, cela ne me viendrait pas à l’esprit.
Un sentiment de liberté
Je m’étais déjà déconnecté de mon compte Twitter pendant des périodes plus ou moins longues, jusqu’à trois mois. Mais la suppression est complètement différente. En quelques jours, j’ai tout simplement arrêté de penser à ce qui se passait sur Twitter. J’ai arrêté de penser que ce réseau existait. L’expérience a été la même que pour Facebook et LinkedIn : en supprimant le compte, je me suis ôté un poids énorme. C’est pour Twitter, le réseau auquel j’étais le plus accroc, que la sensation a été la plus forte.
Il est simple de se retirer des réseaux que l’on n’aime pas ou qu’on utilise peu. Le réel changement vient d’accepter de se retirer d’un réseau dont on connait la nocivité, pour soi et pour le monde, sans pourtant pouvoir s’en passer. Parce qu’on est persuadé d’en tirer plus de bien que de mal.
Je suis un blogueur et écrivain qui cherche la gloire. Qui cherche le buzz. Qui cherche à vendre des livres, à être lu, à toucher des lecteurs. Les réseaux sociaux sont littéralement conçus pour les gens comme moi. Et pourtant, ils me prennent beaucoup en m’apportant bien peu. Les pseudobénéfices ne sont que du vent. Une icône bleue à côté de mon nom ? La belle affaire ! Un nombre à quatre chiffres sous la marque "abonnés" ? Un simple attrape-nigaud pour que je tente à tout prix de le faire augmenter.
Twitter ne me manque pas. Au contraire. Je me demande sans cesse pourquoi je ne l’ai pas quitté plus tôt. Pourquoi ceux qui, comme moi, ont la conscience de la nocivité de cette plateforme la crédibilisent en restant dessus. (je ne vais pas leur jeter la pierre, j’en faisais partie il y a moins d’un an).
La migration vers Mastodon
Je souris de la naïveté de certains utilisateurs qui s’indignent de l’arrivée d’Elon Musk à la tête de Twitter. C’était pourtant clair depuis le début, non ? Vous êtes des "utilisateurs". Vous êtes une marchandise, vous créez la valeur de l’entreprise, que ce soit pour Elon Musk ou un autre. Vous êtes les pigeons et votre indignation ne fait qu’alimenter les débats, les interactions et donc les intérêts publicitaires.
Il n’y a pas de bonne manière d’utiliser un réseau propriétaire. En créant un compte, nous acceptons d’être utilisés, manipulé et que chacune de nos interactions y soit désormais monétisée.
Il y a déjà 5 ans, je tentais de promouvoir Mastodon, une alternative libre et décentralisée à Twitter. Je lis souvent des remarques comme quoi c’est beaucoup plus compliqué.
Non.
C’est juste différent. Si tu n’arrives pas à utiliser Mastodon, c’est que tu n’en as tout simplement pas envie.
C’est plus facile de manger un burger au Macdo qu’un plat équilibré avec des légumes. C’est plus facile de balancer ses déchets dans un parc plutôt que de faire du tri. L’argument de la facilité n’en est pas un. Le monde se modèle selon l’énergie que nous y mettons.
Il faut créer un compte avec un mot de passe et tout ? Sur Twitter aussi. C’est juste que tu as l’habitude. C’est juste que tu t’es connecté sur un serveur Mastodon, que tu as découvert que tu avais 0 follower, que tu n’avais plus la petite icône bleue, que tu ne savais plus "promouvoir tes tweets", que tu ne voyais plus des likes s’afficher en direct sous tes messages. Que tu n’es plus revenu et que donc tu as oublié ton mot de passe. Que c’est plus facile d’accuser le logiciel libre d’être compliqué plutôt que d’affronter sa propre vacuité.
Si tu n’as pas l’envie d’apprendre à utiliser Mastodon, c’est compréhensible. Personne ne te force. Mais n’accuse pas la plateforme.
Twitter est très bon pour te faire croire que tu es un utilisateur important. Mais sur le Fediverse, le réseau décentralisé auquel participent les serveurs Mastodon, il n’y a pas d’utilisateurs, encore moins des importants. Il y a juste des personnes qui sont toutes sur le même pied d’égalité.
La plateforme ne peut pas remplacer l’introspection
C’est peut-être ça le plus difficile à accepter : ce n’est pas Mastodon ni le logiciel libre le problème. C’est toi. C’est toi qui cherches à te sentir important, à être valorisé. En achetant des vêtements chers, le dernier iPhone le jour de sa sortie, une grosse voiture ou une icône bleue à côté de ton pseudo Twitter. Ou tout simplement en ayant beaucoup de retweets, en étant beaucoup cité dans les débats.
La question n’est pas de faire un Twitter-sans-Elon-Musk. La question est de savoir ce que nous voulons, ce que nous cherchons. De faire la part entre ce que nous prétendons ("communiquer") et ce que nous voulons réellement ("être valorisé","avoir le sentiment d’exister").
J’ai plusieurs fois suggéré de supprimer dans Mastodon l’affichage public du nombre de followers pour couper court à toute potentielle spéculation sur cet indicateur. Si je me rends compte qu’un compte à beaucoup de followers, j’ai tendance instinctivement à penser que cette personne est importante, que son avis vaut la peine d’être écouté. Je ne pense pas être le seul.
Tentez l’expérience
Si votre morale personnelle réprouve ce qu’est ou ce que devient Twitter, je ne peux que vous inviter à tenter l’expérience de supprimer votre compte. Rappelez-vous : vous avez un an pour changer d’avis.
Faites fi de ces conversations tellement importantes, de cette communauté que vous ne pouvez pas "abandonner", de ces ennemis virtuels qui verront votre départ comme une victoire. Tentez simplement de vous aligner avec vos propres valeurs morales. Juste pour voir.
Supprimer votre compte est également la seule et unique manière de protester, de toucher l’entreprise là où ça lui fait mal.
Bien sûr, vous pouvez aussi venir sur Mastodon. Mais ce n’est pas nécessaire. C’est même peut-être contreproductif. Si vous étiez accroc à Twitter, vous serez tenté de voir dans Mastodon un substitut. Il est sans doute préférable de se sevrer de Twitter avant de découvrir autre chose.
Bonus
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Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) !
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