Moi ? De rien ! Même pas de lire un super long billet rébarbatif !

par Ploum le 2008-12-11

Lentement, insidieusement, elle s’est immiscée. Elle rampe, elle contourne, elle est partout, elle est là, parmi nous, la Peur. La grande Peur.

Elle est diablement efficace, elle efface toute raison, toute rationalité, toute logique. Elle autorise tous les excès, tous les abus. Nous connaissons la Peur.

Et lorsque la Peur est au commande, chacun se replie pour protéger son petit bout de survie, pour refuser toute possibilité de discuter. On ne discute pas avec la Peur. Au contraire tout ce qui est différent devient un vecteur de la Peur.

Depuis plusieurs années, le monde plonge dans la Peur et applaudit ceux qui, exploitant la Peur, lutte contre toute différence, renforçant la Peur tout en ayant l’air de la combattre.

La crainte

Pensez-vous qu’une dizaine de gardes en mitraillette puisse faire quelque chose contre un attentat suicide ? Mais par contre, cela va renforcer le sentiment de crainte. Parce que les gens ont peur, ils vont vous forcer à jeter les bouteilles d’eau à la poubelle avant de prendre l’avion (même si personne n’arrive à y trouver la moindre logique), le gouvernement va prendre des mesures énormes pour faire en sorte qu’une photo d’enfant nu soit censurée, jusqu’à rendre les gens complètement paranoïaques à propos d’internet même si le risque statistique est quasi-nul.

Du point de vue économique, cela se traduit par des entreprises qui ne se préoccupent plus du tout de leurs clients ou du marché mais ne font plus qu’une seule et unique chose : tenter de se protéger. L’innovation est morte, on en profite pour utiliser le mot, vidé de son sens, chaque fois qu’on attaque un concurrent pour utilisation d’un brevet. On attaque un concurrent avec des brevets, on se défend contre un autre. Et de temps en temps on prend également la peine de pourrir son produit avec des protections (si le concept en lui-même ne vous semble pas absurde, respirez calmement et recommencez) et on va jusqu’à attaquer en justice ses propres clients !

D’ailleurs les entreprises ne servent plus à satisfaire les clients, elles n’existent que par peur que les employés tombent au chômage. Plutôt que de se poser des questions, les gouvernements vont financer des usines de voitures dont personne ne veut pour garder les employés occupés. Toute intelligence et toute réflexion a irrémédiablement disparu du processus.

Et où cela nous mène-t-il ? À un comportement paranoïaque, à une fermeture totale à tout ce qui n’est pas complètement familier jusqu’au point de menacer d’attaquer en justice (ou en vrai) toute personne qui fait quelque chose qu’on ne comprend pas, genre utiliser Linux, ne pas croire en dieu. On en arrive à avoir peur de son propre ordinateur et d’acheter des myriades de logiciels pour se « protéger ».

Et, comme la peur ne fait que renforcer la peur, on obtient au bout du compte des guerres, des attentats, des crises économiques et d’autres trucs très bien en gras sur un journal. Est-ce que vous connaissez un seul politicien qui, s’étant fait élire par crainte, n’est pas passé à la postérité pour ses fiascos et ses catastrophes. Malgré tout, on en redemande, on leur fait sauver des entreprises périmées et construire des autoroutes absurdes tout en foutant dehors les étrangers afin de préserver la tranquillité des maisons de retraites surpeuplées de pensionnaires dont personne ne pourra plus payer les pensions dans quelques années.

L’espoir

La victoire d’Obama aux élections présidentielles américaines a souvent été présentée comme une victoire contre le racisme vu que l’homme est noir (ou presque, mais rassurez-vous ma bonne dame, il est très croyant, il est hétérosexuel marié avec des enfants Parce qu’on veut bien un peu noir mais faut pas déconner non plus), une victoire du peuple contre l’establishment ou ce que vous voulez. En vérité, il s’agit d’une formidable victoire du marketing : logo, slogan, badge, don, internet. Le produit Obama a été savamment orchestré, le monde entier en rêve ! Mais, pour la première fois depuis des années, la campagne ne vendait pas de la Peur. Elle vendait l’Espoir. Et les hommes se sont soudain souvenus que rêver était la meilleure arme contre la Peur.

John McCain, candidat malheureux, est un homme que je pense équilibré. Durant toute la campagne, il s’est vu forcé de mener une politique de Peur à laquelle il ne semblait pas croire du tout. Peur de perdre l’électorat fondamentaliste, peur des terroristes, peur, peur, peur. Ce n’est qu’une fois l’élection perdue que McCain a retrouvé son assurance et sa grâce.

Je me réjouis personnellement de cette élection car elle marque la fin d’une droite qui se prétend économiquement libérale quand ça l’arrange et qui est d’un rigorisme extrême sur le plan moral. Un très malheureux assemblage exporté en Europe avec, entre autres, des Sarkozy et Berlusconi.

Elle signifie aussi pour la première fois que les gens n’ont plus cédé à la Peur. Que nous sommes revenu à la politique, la vraie, pas à une assemblée de misérables petits lèche-système qui n’ont que peur de perdre leur cabinet et leur poste tout en s’arrangeant pour avoir des footballeurs ou des présentateurs télé sur leur liste.

Obama ne sera peut-être pas meilleur que les autres. Et même si il l’était, un homme seul ne peut rien faire. Mais un homme seul peut donner confiance, un homme seul peut motiver.

Le charisme d’Obama, sa capacité à gérer une aussi longue campagne, son sens du rassemblement et de l’espoir en font un exemple pour d’autres pays où, suivez mon regard, le premier ministre passe son temps à vouloir démissionner et à se faire refuser de se casser, reprenant le boulot avec les pieds de plomb. Certains pays où la tentative de créer un parti « national » quelle que soit leur langue (ce qui parait logique) est pris par tout le monde comme une grosse blague.

Alors, Obama, finalement, je m’en fous de ce qu’il fera. Je tenais juste à le remercier pour tenter de mettre fin à la Peur, pour remettre sur le devant de la scène la vraie politique qui fait vibrer et rêver les gens.

Finalement, combattre la peur n’est pas en combattre la cause. Alors prenez l’avion sans crainte, envoyez se faire foutre les lettres de menaces car vous avez téléchargé sept MP3 sans avoir le CD, enfreint 10.000 brevets avec votre logiciel libre, blasphémez les différents dieux et soi-disant brisez votre carrière professionnelle en refusant de devenir « sérieux » et d’abandonner Linux. Votre vie est devant vous, profitez-en et ne prêtez pas attention à ceux qui veulent vous imposer leur loi sous la menace de châtiments futurs.

N’essayez pas d’argumenter. Lorsque les sentiments ont pris le dessus, la logique n’a absolument plus aucune valeur. Contentez-vous de rire et de rêver.

Et toi, de quoi as-tu peur ?

Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.

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