Pourquoi n’y a-t-il pas de Google européen ?

par Ploum le 2023-06-27

Et pourquoi c’est une bonne chose.

Google, pardon Alphabet, Facebook, pardon Meta, Twitter, Netflix, Amazon, Microsoft. Tous ces géants font partie intégrante de notre quotidien. Tous ont la particularité d’être 100% américains.

La Chine n’est pas complètement en reste avec Alibaba, Tiktok et d’autres moins populaire chez nous, mais brassant des milliards d’utilisateurs.

Et en Europe ? Beaucoup moins, au grand dam des politiciens qui ont l’impression que le bonheur d’une population, et donc ses votes, se mesure au nombre de milliardaires qu’elle produit.

Pourtant, dans le domaine Internet, l’Europe est loin d’être ridicule. Elle est même primordiale.

Car si Internet, interconnexion entre les ordinateurs du monde entier, existait depuis la fin des années 60, aucun protocole ne permettait de trouver de l’information. Il fallait savoir exactement ce que l’on cherchait. Pour combler cette lacune, Gopher fut développé aux États-Unis tandis que le Web, combinaison du protocole HTTP et du langage HTML, était inventé par un citoyen britannique et un citoyen belge qui travaillaient dans un centre de recherche européen situé en Suisse. Mais, anecdote croustillante, leur bureau débordait la frontière et on peut dire aujourd’hui que le Web a été inventé en France. Difficile de faire plus européen comme invention ! On dirait la blague européenne officielle ! (Note: tout comme Pluton restera toujours une planète, les Britanniques resteront toujours européens. Le Brexit n’est qu’une anecdote historique que la jeune génération s’empressera, j’espère, de corriger).

Bien que populaire et toujours existant aujourd’hui, Gopher ne se développera jamais réellement comme le Web pour une sombre histoire de droits et de licence, tué dans l’œuf par la quête de succès économique immédiat.

Alors même que Robert Cailliau et Tim Berners-Lee inventaient le Web dans leur bureau du CERN, un étudiant finlandais issu de la minorité suédoise du pays concevait Linux et le rendait public. Pour le simple fait de s’amuser. Linux est aujourd’hui le système d’exploitation le plus populaire du monde. Il fait tourner les téléphones Android, les plus gros serveurs Web, les satellites dans l’espace, les ordinateurs des programmeurs, les montres connectées, les mini-ordinateurs. Il est partout. Linus Torvalds, son inventeur, n’est pas milliardaire et trouve ça très bien. Cela n’a jamais été son objectif.

Mastodon, l’alternative décentralisée à Twitter créée par un étudiant allemand ayant grandi en Russie, a le simple objectif de permettre aux utilisateurs des réseaux sociaux de se passer des monopoles industriels et de pouvoir échanger de manière saine, intime, sans se faire agresser ni se faire bombarder de pub. La pub et l’invasion de la vie privée, deux fléaux du Web moderne ! C’est d’ailleurs en réaction qu’a été créé le réseau Gemini, une alternative au Web conçue explicitement pour empêcher toute dérive commerciale et remettre l’humain au centre. Le réseau Gemini a été conçu et initié par un programmeur vivant en Finlande et souhaitant garder l’anonymat. Contrairement à beaucoup de projets logiciels, Gemini n’évolue plus à dessein. Le protocole est considéré comme terminé et n’importe qui peut désormais publier sur Gemini ou développer des logiciels l’utilisant en ayant la certitude qu’ils resteront compatibles tant qu’il y’aura des utilisateurs.

On entend souvent que les Européens n’ont pas la culture du succès. Ces quelques exemples, et il y’en a bien d’autres, prouvent le contraire. Les Européens aiment le succès, mais pas au détriment du reste de la société. Un succès est perçu comme une œuvre pérenne, s’inscrivant dans la durée, bénéficiant à tous les citoyens, à toute la société voire à tout le genre humain.

Google, Microsoft, Facebook peuvent disparaître demain. Il est même presque certain que ces entreprises n’existent plus d’ici quarante ou cinquante ans. Ce serait même potentiellement une excellente chose. Mais pouvez-vous imaginer un monde sans le Web ? Un monde sans HTML ? Un monde sans Linux ? Ces inventions, initialement européennes, sont devenues des piliers de l’humanité, sont des technologies désormais indissociables de notre histoire.

La vision américaine du succès est souvent restreinte à la taille d’une entreprise ou la fortune de son fondateur. Mais pouvons-nous arrêter de croire que le succès est équivalent à la croissance ? Et si le succès se mesurait à l’utilité, à la pérennité ? Si nous commencions à valoriser les découvertes, les fondations technologiques léguées à l’humanité ? Si l’on prend le monde à la lueur de ces nouvelles métriques, si le succès n’est plus la mesure du nombre de portefeuilles vidés pour mettre le contenu dans le plus petit nombre de poches possible, alors l’Europe est incroyablement riche en succès.

Et peut-être est-ce une bonne chose de promouvoir ces succès, d’en être fier ?

Certains sont fiers de s’être enrichis en coupant le plus d’arbres possible. D’autres sont fiers d’avoir planté des arbres qui bénéficieront aux générations futures. Et si le véritable succès était de bonifier, d’entretenir et d’augmenter les communs au lieu d’en privatiser une partie ?

À nous de choisir les succès que nous voulons admirer. C’est en choisissant de qui nous chantons les louanges que nous décidons de la direction dès progrès futurs.

Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.

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