Seuls les fous en tentent l’ascension

par Ploum le 2024-10-11

Je vous ai déjà parlé de Bruno Leyval, l’artiste qui a réalisé la couverture et l’illustration de Bikepunk ? Mais si, souvenez-vous. J’avais même mis en texte une des ces photos.

J’adore travailler avec Bruno. C’est un grand professionnel qui incarne néanmoins l’archétype de l’artiste fou. Pour le découvrir, je vous conseille cette formidable interview.

L’artiste est un fou. De cette folie révolutionnaire, nécessaire, indispensable dont Érasme chantait déjà les louanges. Mais la démence dangereuse, elle, est générée par la gloire. Une gloire que Bruno a connue et qu’il a fuie avec un discernement fascinant :

J’ai connu les effets de la reconnaissance artistique et je peux te dire qu’il faut être solide dans sa tête pour ne pas basculer dans la folie. Tu te retrouves plongé dans un monde parallèle où tout le monde te lèche le cul et le pire, c’est que c’est agréable !

C’est le paradoxe de l’artiste : soit il n’est pas reconnu et son message s’éteint, sans grande portée. Soit il devient célèbre et son message se transforme en une infâme mixture à vocation commerciale. Le message est totalement corrompu lorsqu’il atteint le public (qui, de par son adoration idolâtre, est en grande partie responsable de cette corruption).

Les pires victimes de cette démence sont sûrement celles qui la connaissent sans avoir la moindre once de folie artistique. Qui sont corrompues dès le départ, car elles n’ont même pas d’autre message que la quête de gloire. Les politiciens.

La gangrène de l’humanité est peut-être cette glorification inéluctable de celleux qui sont dans une quête compulsive de gloire, cette mise au pouvoir de ces obsédés de la puissance. Face à cette maladie, l’art et la folie me semblent être les seules manières mener une lutte raisonnable.

J’adore Bruno parce que nous sommes complètement différents. Il est chaman, spirituel, mystique, travailleur de ses mains. Je suis un ingénieur hyper rationnel scientifique greffé à un clavier. Chacun empêche l’autre de dormir avec ses ronflements, au propre comme au figuré.

Et pourtant, si l’on enlève les déguisements (les peintures corporelles et la tête de bison pour lui, la blouse blanche et l’éprouvette de laboratoire pour moi), on découvre des pensées incroyablement similaires. Nous sommes, tous les deux en train de gravir la même montagne, mais par des chemins opposés.

À lire Bruno, à avoir la chance de partager des moments avec lui, je pense que cette montagne s’appelle la sagesse.

C’est une montagne dont nul n’a jamais atteint le sommet. Une montagne dont aucun alpiniste n’est jamais revenu vivant.

Seuls les fous en tentent l’ascension.

Seuls les fous, en ce monde, sont en quête de sagesse.

C’est d’ailleurs pour cela qu’on les appelle des fous.

En ouvrant le livre Bikepunk, une fois la couverture passée, avant même les premiers tours de roue, avant même la première lettre imprimée, une image, une sensation mystique vous assaillira peut-être comme elle m’assaille moi-même à chaque fois. La folie spirituelle de Bruno qui me renvoie le reflet de ma propre folie mécanico-scientiste.

Vous êtes sur le point d’entrer, de partager notre folie.

Ça y est, vous êtes fous.

Bienvenue sur notre montagne !

Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.

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