Ils nous mentent

par Ploum le 2024-10-24

Le mensonge politicien

Lors de ma campagne électorale pour le Parti Pirate en 2012, j’ai été interpellé dans la rue par un citoyen de ma commune qui me demandait ce que j’allais faire pour sauver son emploi.

J’ai été étonné par la question et j’ai répondu sincèrement. Rien ! Rien, car, si je suis élu, je serai conseiller communal dans l’opposition d’une commune qui n’a rien à voir avec l’usine. En fait, tout candidat qui vous prétend le contraire vous ment. Car il ne sait rien faire. L’usine n’est pas sur la commune.

— Alors, je ne voterai pas pour vous ! Les autres disent qu’ils feront quelque chose.

J’avais expliqué que les autres mentaient, mais la personne préférait un mensonge. L’immense majorité des humains préfère un mensonge réconfortant. Moi qui déteste mentir, qui en suis physiquement incapable, je découvrais à plus de trente balais que certains humains pouvaient mentir droit dans les yeux et que tout le monde semblait apprécier cela (je sais, je suis à la fois naïf et pas très rapide).

Par essence, les politiciens mentent parce que ça fonctionne. Et aussi parce qu’ils sont confrontés à plein de groupes mouvants et multiples. Contrairement à ce qu’on croit parfois, la société n’est pas binaire et divisée entre d’un côté les ouvriers et de l’autre les cadres, les étrangers et les « de souche », les automobilistes et les cyclistes, etc. Nous sommes tous dans plein de cases à la fois. Nous sommes incompatibles avec nous-mêmes.

Alors, le politicien va dire aux cyclistes qu’il va construire plus de pistes cyclables. Puis aux automobilistes qu’il va construire plus de parkings. Les deux propositions sont contradictoires. Personne ne le remarque même si certaines personnes sont dans les deux assemblées (la majorité des cyclistes étant également automobilistes). Le politicien ment. Il le sait. Il ne peut pas faire autrement. C’est ce qu’on attend de lui.

De toute façon, une fois élu, il fera ce qu’il faut faire, ce que la machine administrative le pousse à faire en tentant de légèrement l’influencer selon ses propres intérêts du moment. De toute façon, aux prochaines élections, il pourra raconter n’importe quoi. De toute façon, les personnes intéressées par le « fact checking » sont une minorité qui ne vote pas pour lui.

Les politiciens mentent, c’est l’essence même de la politique. Celleux qui tentent de ne pas le faire ne tiennent pas assez longtemps pour acquérir un réel pouvoir. C’est impossible. Dénoncer les mensonges d’un politicien, c’est comme dénoncer l’humidité de l’eau.

Mais le mensonge des politiciens reste artisanal, humain. Ils tentent de convaincre chaque électeur en lançant cent propositions toutes contradictoires, mais en sachant que l’humain moyen n’entendra que celle qu’il veut entendre.

Secrètement, les politiciens envient tous Trump qui n’a même plus besoin de faire des propositions parce qu’une frange de l’électorat croit entendre ce qu’il veut dans le moindre de ses borborygmes.

Mais ce n’est rien face au mensonge industriel, ce mensonge gigantesque, énorme. Celui qui est à la base des plus grosses fortunes de notre ère. Le mensonge qu’on a élevé au rang de discipline universitaire en le parant du nom « marketing ».

Le mensonge de l’industrie

Le mensonge est à la base de toute l’industrie moderne. Les marketeux apprennent à mentir, s’encouragent à le faire à travers des séminaires tout en rêvant de devenir les plus gros menteurs de l’histoire moderne : les dirigeants des multinationales du numérique.

Contrairement aux pires industries comme le tabac ou le soda sucré, qui vendent de la merde, mais au moins vendent quelque chose, les CEOs de la Silicon Valley ne cherchent pas à créer une entreprise rentable ou un service utile. Ils nous racontent des histoires, ils inventent des mythes, des mensonges. Nous croyons que c’est une technique marketing au service de leur produit.

Mais c’est le contraire : le produit n’est qu’un support à leur histoire, à leur fiction. Le produit doit faire le strict minimum pour que leur histoire reste crédible auprès des gens les plus crédules : les médias.

Mark Zuckerberg n’est pas un génie de l’informatique ni de la publicité. Il a simplement réussi à faire croire aux publicitaires qu’il avait inventé la technique publicitaire ultime, un « rayon de contrôle des esprits ». Et il a réussi à faire croire que nous devrions tous être des publicitaires pour bénéficier de son invention (même si nous sommes tous convaincus que le rayon de contrôle ne fonctionne pas sur nous, c’est juste pour les autres).

Ça fonctionne parce que c’est comme ça que les CEOs de la Silicon Valley voient toute leur vie : comme un support au mythe qu’ils sont en train de créer. Steve Jobs ne cherchait pas à créer l’iPhone. Il était initialement opposé à l’App Store. Mais il a créé un business qui a fait croire qu’il était un visionnaire et s’est transformé en un dieu immortel dont la biographie s’arrache.

Bill Gates n’a jamais créé de système d’exploitation. Il a créé un monde dans lequel tout le monde doit payer Bill Gates pour en avoir un. Il n’était pas spécialement un bon codeur, mais il a réussi à convaincre le monde que partager un logiciel sans le payer était une hérésie. Pour ensuite appliquer son idéologie à la vaccination.

Elon Musk n’a pas créé Tesla. Mais il en a transformé l’histoire pour devenir, après coup, un fondateur. Il a inventé le concept d’Hyperloop et l’a promu en sachant très bien que ça ne fonctionnerait jamais, mais que croire que ça pourrait fonctionner empêcherait le développement du train traditionnel qui risquait de faire concurrence à l’automobile individuelle.

Ces gens sont, par essence, par définition, des mythomanes. Ils ne sont pas bêtes, ils sont même très intelligents, mais, comme le souligne Edward Zitron, ils ne sont pas du tout intellectuels et n’ont pas la moindre morale. Ils lisent tous les mêmes livres. Ils ne vont jamais au fond des choses. Ils sont fiers de prendre des décisions cruciales en trois minutes. Ils ne sont pas intéressés par la subtilité, par le raisonnement. Ce sont des junkies de l’adrénaline et de l’adulation des foules.

S’ils lisent le résumé d’un livre de science-fiction, ils trouvent les idées géniales alors même que l’auteur cherchait à nous mettre en garde contre elles.

Sci-Fi Author: In my book I invented the Torment Nexus as a cautionary Tale

Tech Company: At long last, we have created the Torment Nexus from classic sci-fi novel Don’t Create The Torment Nexus

– Alex Blechman

Ils sont intellectuellement médiocres en tout. Sauf dans la capacité cruciale à se donner une image médiatique, une aura.

Et cette image médiatique altère la réalité. Nous leur donnons des sous. Nos gouvernements leur donnent les clés de nos démocraties. Les politiciens vendent un rein pour être pris en photo avec eux. Les journalistes sont tout contents d’obtenir des interviews consensuels alors même que ces milliardaires ont besoin des journalistes pour exister ! Mais comme ils contrôlent les organes de presse, que ce soit en les possédant ou en étant leurs plus gros clients, ils s’arrangent pour que tout journaliste un peu trop malin soit vite évincé.

Lorsqu’une entreprise se paye des encarts publicitaires dans les médias, ce n’est pas pour faire de la publicité auprès du grand public, même si c’est un effet secondaire intéressant. Le véritable objectif est de rendre le média dépendant de cette manne financière, d’exercer un pouvoir : si ce que vous publiez ne nous plait plus, on coupe les robinets. Il faut voir la fierté naïve du rédacteur en chef d’un média, pourtant financé en grande partie par l’argent public, lorsqu’il signe un contrat publicitaire avec Google ou Microsoft.

Toutes les rédactions saisissent intuitivement ce rapport de force et exercent, parfois inconsciemment, un contrôle sur les journalistes un peu trop indépendants. Qui sont de toute façon trop mal payés pour avoir le temps d’enquêter ou de réfléchir sérieusement et se contentent de relayer, parfois sans même les relire ou les modifier, les « communiqués de presse ». (pour ceux qui l’ignorent, un communiqué de presse est en fait un article pré-écrit que le journaliste peut copier/coller pour atteindre son quota d’articles publiés dans la journée sans trop se fouler)

Toute la communication autour d’OpenAI, le fournisseur de ChatGPT, n’est qu’un gigantesque mensonge. Même les investisseurs qui mettent des millions n’obtiennent, en réalité, pas de parts dans l’entreprise, mais « une promesse d’intéressement aux bénéfices futurs ». Or toute personne qui a le niveau mathématique de l’école primaire comprend très vite qu’il est littéralement impossible pour OpenAI de faire un jour des bénéfices. Pire : pour survivre, la société va devoir trouver plus d’investisseurs qu’aucune autre société avant elle dans l’histoire du capitalisme. Et cela, chaque année ! « On dépense tellement d’argent qu’on va bien finir par en gagner et si vous nous donnez votre argent, vous aurez une part lorsque ça arrivera ». Le business OpenAI est la définition d’une pyramide de Ponzi sauf que c’est légal, car écrit noir sur blanc dans le contrat.

La valeur de la société Nvidia, qui fournit le matériel permettant de faire tourner ChatGPT, approche des 15% du produit intérieur brut des États-Unis. Aucune personne sensée ne peut défendre le fait que quelques puces électroniques représentent presque un sixième de la valeur du travail des États-Unis tout entier. Le fait que Nvidia soit désormais un « investisseur » dans OpenAI démontre qu’ils savent parfaitement qu’il s’agit d’une bulle et qu’ils choisissent de l’autoalimenter. Il est évident que Nvidia et OpenAI nous mentent, en s’étonnant eux-mêmes que ça continue à fonctionner.

À ce niveau, j’ai envie de dire que les crétins qui continuent à y croire méritent vraiment ce qui va leur arriver. Et ceux qui, sur LinkedIn, s’émerveillent encore sur l’impact que ChatGPT pourrait avoir sur leur business méritent amplement de porter une pancarte avec écrit « Je suis littéralement le dernier des crétins ».

Mais même leurs plus farouches opposants aux milliardaires les prennent au mot et tentent de les affronter dans leurs propres mythologies. Facebook contrôle nos esprits, c’est mal ! ChatGPT va détruire l’emploi, c’est mal ! Bill Gates va mettre des puces 5G dans les vaccins qu’il nous vend ! Ces peurs, fictives, ne font que renforcer la fiction que racontent ceux qui s’imaginent en supervilains à la James Bond et qui sont incroyablement flattés de voir que même leurs ennemis les croient bien plus puissants qu’ils ne le sont en réalité.

Pourtant, comme n’importe quelle superstition, comme n’importe quel gourou sectaire, il suffirait d’une simple chose pour détruire ces mensonges. Il nous suffirait d’arrêter de les croire.

Il suffirait de leur dire « N’importe quoi ! » en rigolant et en haussant les épaules.

Il suffirait d’arrêter de penser que les publicités Facebook/Instagram fonctionnent, d’arrêter de donner du crédit aux métriques qu’ils inventent (les "vues" et les likes") pour que Méta s’effondre (ces métriques ont été amplement démontrées comme complètement fictives). Il suffirait d’arrêter de croire que les résultats de Google sont pertinents pour qu’Alphabet s’effondre (ils ne le sont plus depuis longtemps). Il suffirait de réaliser les défauts de Tesla et des dangers d’une voiture individuelle connectée pour que la fortune d’Elon Musk fonde comme neige au soleil (fortune qui est basée sur la fiction selon laquelle Tesla vendra plus de voitures que tous les autres constructeurs automobiles chaque année durant toutes les prochaines décennies). Il suffirait de s’arrêter pour réfléchir trente secondes pour réaliser que ChatGPT n’est pas le début d’une révolution, mais la fin d’une bulle.

Mais s’arrêter pour réfléchir trente secondes entre deux notifications est devenu un luxe. Un luxe inimaginable, une difficulté inouïe.

Plutôt que de réfléchir à ce que nous voyons, nous préférons cliquer sur le bouton « J’aime » et passer à autre chose. Le mensonge est plus confortable.

Chaque fois que nous sortons notre téléphone, nous ne demandons qu’une chose…

Qu’ils nous mentent.

Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.

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