Le succès existe-t-il ?
par Ploum le 2025-02-18
La notion de succès d’un blog
Un blogueur que j’aime beaucoup, Gee, revient sur ses 10 ans de blogging. Cela me fascine de voir l’envers du décor des autres créateurs. Gee pense avoir fait l’erreur de ne pas profiter de la vague d’enthousiasme qu’à connu son Geektionnerd et de ne pas en avoir profité pour faire plus de promo.
Je ne suis pas d’accord avec Gee : il a très bien fait de continuer sa vie sans se préoccuper du succès. Les vagues d’enthousiasme vont et viennent, elles sont très brèves. Le public passe très vite à autre chose. Partir en quête du buzz permanent est la recette absolue pour se perdre. C’est un métier à part entière : le marketing. Trop d’artistes et de créateurs se sont détournés vers le marketing, espérant obtenir une fraction du succès obtenu par des gens sans talents autre que le marketing.
Mais vous oubliez que la perception du succès elle-même fait partie du plan marketing. Vous pensez qu’un tel a du succès ? Vous n’en savez rien. Vous ne savez même pas définir « succès ». C’est une intuition confuse. Faire croire qu’on a du succès fait partie du mensonge !
Pour beaucoup de gens de mon entourage éloigné, je suis soudainement devenu un écrivain à succès parce que… je suis passé à la télé à une heure de grande écoute. Pour ces gens-là qui me connaissent, je suis passé de « type qui écrit de vagues livres dont personne n’a entendu parler » à « véritable écrivain connu qui passe à la télé ». Pour ceux, et ils sont nombreux, qui ont délégué à la télévision le pouvoir d’ordonner les individus au rang de « célébrité », j’ai du succès. Pour eux, je ne peux rien rêver de plus si ce n’est, peut-être, passer régulièrement à la télé et devenir une « vedette ».
Dans ma vie quotidienne et aux yeux de toutes les (trop rares) personnes qui n’idolâtre pas inconsciemment la télévision, ces passages à la télé n’ont strictement rien changé. J’ai certainement vendu quelques centaines de livres en plus. Mais ai-je du « succès » pour autant ?
Il y a quelques mois, j’étais invité comme expert pour le tournage d’une émission télé sur l’importance de protéger ses données personnelles en ligne. Lors d’une pause, j’ai demandé au présentateur ce qu’il faisait d’autre dans la vie. Il m’a regardé, étonné, et m’a répondu : « Je présente le JT ». Ça ne devait plus lui arriver très souvent de ne pas être reconnu. La moitié de la Belgique doit savoir qui il est. Nous avons rigolé et j’ai expliqué que je n’avais pas la télévision.
Question : cette personne a-t-elle du « succès » ?
Le succès est éphémère
À 12 ans, en vacances avec mes parents, je trouve un livre abandonné sur une table de la réception de l’hôtel. « Tantzor » de Paul-Loup Sulitzer. Je le dévore et je ne suis visiblement pas le seul. Paul-Loup Sulitzer est l’écrivain à la mode du moment. Selon Wikipédia, il a vendu près de 40 millions de livres dans 40 langues, dont son roman le plus connu : « Money ». Il vit alors une vie de milliardaire flamboyant.
Trente ans plus tard, ruiné, il publie la suite de Money: « Money 2 ». Il s’en écoulera moins de 1.300 exemplaires. Adoré, adulé, moqué, parodié des centaines de fois, Sulitzer est tout simplement tombé dans l’oubli le plus total.
Si le « succès » reste une notion floue et abstraite, une chose est certaine : il doit s’entretenir en permanence. Il n’est jamais véritablement acquis. Si on peut encore comprendre la notion de « faire fortune » comme « avoir plus d’argent que l’on ne peut en dépenser » (et donc ne plus avoir besoin d’en gagner), le succès lui ne se mesure pas. Il ne se gère pas de manière rationnelle.
Quels indicateurs ?
Dans son billet, Gee s’étonne également d’avoir reçu beaucoup moins de propositions pour le concours des 5 ans du blog que pour celui du premier anniversaire. Malgré une audience supposée supérieure.
De nouveau, le succès est une affaire de perception. Quel succès voulons-nous ? Des interactions intéressantes ? Des interactions nombreuses (ce qui est contradictoire avec la précédente) ? Des ventes ? Du chiffre d’affaires ? Des chiffres sur un compteur de visite comme les sites web du siècle précédent ?
Il n’y a pas une définition de succès. En fait, je ne connais personne, moi le premier, qui soit satisfait de son succès. Nous sommes, par essence humaine, éternellement insatisfaits. Nous sommes jaloux de ce que nous croyons voir chez d’autres (« Il passe à la télé ! ») et déçus de nos propres réussites (« Je suis passé à la télé, mais en fait, ça n’a rien changé à ma vie »).
Écrire dans le vide
C’est peut-être pour cela que j’aime tant le réseau Gemini. C’est le réseau anti-succès par essence. En publiant sur Gemini, on a réellement l’impression que personne ne va nous lire, ce qui est donne une réelle liberté.
Certains de mes posts de blog font le buzz sur le web. Je n’ai pas de statistiques, mais je vois qu’ils tournent sur Mastodon, qu’ils font la première page sur Hacker News. Mais si je n’allais pas sur Hacker News ni sur Mastodon, je ne le saurais pas. J’aurais tout autant l’impression d’ếcrire dans le vide que sur Gemini.
À l’opposé, certains de mes billets ne semblent pas attirer les "likes", "partages", "votes" et autres "commentaires". Pourtant, je reçois de nombreux emails à leur sujet. De gens qui veulent creuser le sujet, réfléchir avec moi. Ou me remercier pour cette réflexion. C’est particulièrement le cas avec le réseau Gemini qui semble attirer des personnes qui sont dans l’échange direct. Moi-même il m’arrive souvent de dégainer mon client mail pour répondre spontanément à un billet personnel lu sur Gemini. La réaction la plus fréquente à ces messages est : « Wow, je ne pensais pas que quelqu’un me lisait ! ».
Je vous pose la question : quel type de billet a, selon vous, le plus de « succès » ?
Est-ce que la notion de succès a réellement un sens ? Peut-on avoir assez de succès ?
- Pour donner un peu de succès financier à Gee
- Sortilèges & Sindycats, le roman de Gee qui mériterait plus de succès !
Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) !
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