Mais c’est plus joli !

par Ploum le 2025-12-05

La nouvelle version de votre site web est inutilisable, vos emails sont longs et illisibles, vos slides et vos graphiques sont creux. Mais j’entends bien votre argument pour justifier toute cette merde :

C’est plus joli !

On fout tout en l’air pour faire « joli ». Même les icônes des applications sont devenues indistinguables les unes des autres, car « c’est plus joli ».

Le joli nous tue !

R.L. Dane réalise que ce qui lui manque le plus est son ordinateur en noir et blanc. Non pas parce qu’il veut revenir au noir et blanc, mais parce que le fait que certains ordinateurs soient en noir et blanc forçait les designeurs à créer des interfaces lisibles et simples dans toutes les conditions.

C’est exactement ce que je reproche à tous les sites web modernes et toutes les apps. Les concepteurs devraient être forcés de les utiliser sur un vieil ordinateur ou sur un smartphone un peu ancien. C’est joli si on a justement le dernier smartphone avec les derniers espiogiciels à la mode.

Je conchie le « joli ». Le joli, c’est la déculture totale, c’est Trump qui fout des dorures partout, c’est le règne du kitch et de l’incompétence. Votre outil est joli simplement parce que vous ne savez pas l’utiliser ! Parce que vous avez oublié que des gens compétents peuvent l’utiliser. Le joli s’oppose à la praticité.

Le joli s’oppose au beau.

Le beau est profond, artistique, réfléchi, simple. Le beau requiert une éducation, une difficulté. Un artisan chevronné s’émerveille devant la finesse et la simplicité d’un outil. Le consommateur décérébré lui préfère la version avec des paillettes. Le mélomane apprécie une interprétation dans une salle de concert là où votre enceinte connectée impose un bruit terne et sans relief à tous les passants dans le parc. Le joli rajoute au beau une lettre qui le transforme : le beauf !

Oui, vos logorrhées ChatGPTesques sont beaufs. Vos images générées par Midjourney sont le comble du mauvais goût. Votre chaîne YouTube est effrayante de banalités. Vos podcasts ne sont qu’un comblage d’ennui durant votre jogging. Le énième redesign de votre app n’est que la marque de votre inculture. Vos slides PowerPoint et vos posts LinkedIn sont à la limite du crétinisme clinique.

Thierry Crouzet parle de l’addiction à plaire. Mais même cela est faux. On ne veut pas réellement plaire, juste obéir à des algorithmes pour augmenter notre nombre de followers. On veut un profil qui fait « joli ».

Contre le rose bonbon kitch, le headbanging. Contre le technofascisme, le technopunk ringard !

Oui, mais, ça marche !

Le joli est un bonbon, une sucrerie. Cela n’a jamais été aussi vrai que sur les réseaux sociaux, une analogie que j’utilise depuis plus d’une décennie.

Sur son gemlog, Asquare approndit le concept de manière très intéressante : iel suggère que moins les sucreries sont bonnes, plus on en consomme. (oui, c’est sur Gemini, un truc pas joli pour lequel il faut un navigateur dédié et ça n’a rien à voir avec l’IA de Google)

Et ça a du sens : si vous mangez un morceau d’un excellent chocolat avec une tasse de thé de qualité, vous n’aurez pas envie d’en prendre 10 morceaux, de vous gaver. À l’inverse, un chocolat industriel donne une légère satisfaction, mais pas suffisante, on en veut toujours plus.

C’est pareil avec les réseaux sociaux : au plus vous scrollez sur des trucs vaguement intéressants, au plus vous continuez. La merde est addictive ! Et au plus il y a du contenu, au plus la qualité moyenne baisse, cela a été démontré.

Ce qui n’est pas sympa pour la merde, car, comme me le signalent de nombreux lecteurs, la merde est un excellent compost pour faire pousser de bonnes choses. Ce n’est pas le cas des réseaux sociaux, qui font surtout pousser le crétinisme et le fascisme.

À l’opposé de cette « jolie merde », si vous êtes abonnés, comme moi, à d’excellents blogs, vous lisez un article et cela vous fait réfléchir. Le carnet de Thierry Crouzet de novembre, par exemple, me fait beaucoup réfléchir. Après l’avoir lu, je n’ai pas envie de papillonner. Je m’arrête, je me pose des questions, j’ai envie d’y penser, mais aussi de le savourer.

Mais rien ne vaut pour moi la saveur, la beauté d’un bon livre !

L’artisanat derrière la beauté des livres

Je rencontre trop de gens qui me confient aimer beaucoup la lecture, mais n’avoir « plus le temps de lire ». Les mêmes, par contre, sont hyper actifs sur les réseaux sociaux, sur d’infinis groupes Whatsapp ou Discord. C’est comme prétendre n’avoir pas assez faim pour manger ses légumes parce qu’on mange des bonbons toute la journée. Forcément, on a un distributeur dans notre poche ! Et le bonbon n’étant pas vraiment satisfaisant, on reprend un autre… C’est pareil pour certains livres à grand succès produits à la chaîne !

Mais je parlais plus haut du fait qu’apprécier la beauté nécessite la compétence. Les éditions PVH ont justement décidé de se mettre à nu, d’exposer le travail derrière chaque livre pour justifier le prix de l’objet. C’est quelque chose que je remarque : mieux on comprend un travail, au plus on l’apprécie. Cela s’oppose à la nourriture industrielle sous blister qui présuppose de « ne pas savoir comment c’est fait ».

Outre ces explications, deux de mes livres sont à -50% jusqu’au 15 décembre. Si vous n’avez pas de librairie près de chez vous, c’est l’occasion de rentabiliser les frais de port (qui ont explosé, merci la poste française).

L’artisanat derrière l’écriture

PVH vient de sortir un roman de fantasy écrit à 10 mains : « Le bastion des dégradés ».

Julien Hirt, un des co-auteurs et l’auteur de Carcinopolis (que je recommande chaudement si vous n’êtes pas une âme sensible), nous décrit le processus dans un billet passionnant.

Les auteurs sont comme les chats : il est notoirement difficile de leur apprendre à marcher au pas.

À la lecture du billet, la première chose qui me vient à l’esprit, c’est que je suis impatient de lire ce roman. Ce sont tout·e·s des potes dont j’ai lu au moins un des romans, le mélange doit être ébouriffant !

La seconde chose, c’est que ça donne envie de faire pareil. Je regrette de ne pas vivre en Suisse. Comme dit Julien, la Suisse romande est à la fantasy ce que la Scandinavie est au polar. Mais moi, je suis en Belgique !

Bon, après, j’avoue que déjà je suis plus SF que fantasy, mais écrire dans un cloud en chattant, ce serait très très difficile pour moi. Je serais plutôt du genre à vouloir écrire dans un dépôt git en échangeant sur une mailing-liste. Un peu comme si je développais un logiciel libre. Comme le dit Marcello Vitali-Rosati, l’outil a une énorme influence sur l’écriture.

Je ferais plus facilement partie d’un collectif geek-SF, dans la mouvance Neal Stephenson/Charlie Stross/Cory Doctorow. Mais, comme le dit très bien Julien, il faut trouver des complémentarités. Les geeks-SF manquent trop souvent de poésie.

Je repousse sans cesse l’écriture de la suite de Printeurs, mais plus j’y pense, plus je crois que ça pourrait être un projet collectif. J’aime beaucoup par exemple « Chroniques d’un crevard », nouvelle issue du Recueil de Nakamoto. Je trouve que l’univers est parfaitement compatible avec celui de Printeurs.

Trouver le beau derrière le joli

Vous voyez le résultat ? Le fait de tenter de consommer de bonnes choses me donne des idées, me donne envie de produire moi-même des choses. J’éprouve de la gratitude envers les gens qui écrivent des choses que j’aime et avec qui je peux échanger « entre êtres humains ». C’est parfois tellement fort que j’ai l’impression d’être dans un âge d’or !

Bon, peut-être un peu trop, car j’ai trop d’idées qui se bousculent, je rencontre trop de gens intéressants. Finalement, la beauté est partout dès qu’on fait l’effort de mettre maintenir le « joli » à distance. S’il n’y avait pas tant de belles choses à découvrir, je pourrais peut-être me consacrer plus à l’écriture…

Sous les jolis pavés, la beauté de la plage !

Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) !

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