Pas de médaille pour les résistants

par Ploum le 2025-08-26

Si vous voulez changer le monde, il faut entrer en résistance. Il faut accepter d’agir et de se taire. Il faut accepter de perdre du confort, des opportunités, des relations. Et il ne faut espérer aucune récompense, aucune reconnaissance.

Un espionnage pire que tout ce que vous imaginez

Prenez notre dépendance envers quelques monopoles technologiques. Je pense qu’on ne se rend pas compte de l’espionnage permanent que nous imposent les smartphones. Et que ces données ne sont pas simplement stockées « chez Google ».

Tim Sh a décidé d’investiguer. Il a ajouté un simple jeu gratuit sur un iPhone vierge dont tous les services de localisation étaient désactivés. Cela semble raisonnable, non ?

En analysant les paquets, il a découvert la quantité incroyable d’information qui était envoyée par le moteur du jeu Unity. Cela signifie que le concepteur du jeu lui-même ne sait sans doute pas que son jeu vous espionne.

Mais Tim Sh a fait mieux : il a traqué ces données et découvertes où elles étaient revendues. Ce sont des entreprises ayant pignon sur rue qui revendent, en temps réels, les données utilisateurs : position, historique et instantanée, niveau de la batterie et luminosité, connexion internet utilisée, opérateur téléphonique, espace libre disponible sur le téléphone.

Le tout est accessible en temps réel pour des millions d’utilisateurs. Y compris des utilisateurs persuadés de protéger leur vie privée en désactivant les permissions de localisation, en faisant attention voire même en utilisant des containers GrapheneOS : il n’y a en effet aucune malice, aucun piratage, aucune illégalité. Si l’application fonctionne, c’est qu’elle envoie ses données, point à la ligne.

À noter également : les données concernant les Européens sont plus chères. En effet, le RGPD les rend plus difficiles à obtenir. Ce qui est la preuve que la régulation politique fonctionne. Le RGPD est très loin d’être suffisant. Sa seule utilité réelle est de démontrer que le pouvoir politique peut agir.

Nous avons tendance à nous moquer de la petitesse de l’Europe, car nous la mesurons en utilisant les métriques américaines. Nos politiciens rêvent de « licornes » et de monopoles européens. C’est une erreur, la force européenne est opposée à ces valeurs.

Comme le souligne Marcel Sel : malgré tous ses défauts, l’Europe est très imparfaite, mais, peut-être, la structure dans le monde la plus progressiste et qui protège le mieux ses citoyens.

La saturation de l’indignation

Face à ce constat, nous observons deux réactions. Le « jemenfoutisme » et l’indignation violente. Mais, contrairement à ce qu’on pourrait croire, la seconde n’a pas plus d’impact que la première.

Olivier Ertzscheid parle de la saturation de l’indignation. Une indignation permanente qui nous fait perdre toute capacité d’agir.

Je vois beaucoup d’indignation concernant le génocide qu’Israël commet à Gaza. Mais peu ou prou d’actions. Pourtant, une action simple est de supprimer ses comptes Whatsapp. Il est presque certain que les données Whatsapp servent pour cibler des frappes. Supprimer son compte, c’est donc une action réelle. Moins il y aura de comptes Whatsapp, moins les Gazaouis trouveront l’app indispensable, moins il y aura de données pour Israël.

Au lieu de s’indigner, entrez en résistance active. Coupez autant que vous pouvez les cordons. Vous allez perdre des opportunités ? Des contacts ? Vous allez rater des informations ?

C’est le but ! C’est l’objectif ! C’est la résistance, le nouveau maquis. Oui, mais "machin", il est sur Facebook. Quand on entre sa résistance, on y va pas en pantoufle avec toute la famille. C’est le principe même de la résistance : de prendre des risques, d’accomplir des actions que tout le monde ne comprend ou n’approuve pas avec l’espoir de faire changer les choses durablement.

C’est difficile et on ne vous donnera pas une médaille pour cela. Si vous cherchez la facilité, le confort ou si vous voulez de la reconnaissance ou des félicitations officielles, ce n’est pas en résistance que vous devez entrer.

S’arrêter pour penser

Oui, les entreprises sont des poules sans tête qui courent dans tous les sens. Mes années dans l’industrie informatique m’ont permis d’observer que l’immense majorité des employés ne fait strictement rien d’utile. Tout ce que nous faisons, c’est prétendre. Lorsqu’impact il y a, ce qui est extrêmement rare, c’est de permettre à un client de faire « mieux semblant ».

J’ai arrêté de le crier partout, car il est impossible de faire comprendre quelque chose à quelqu’un si son salaire dépend du fait qu’il ne le comprenne pas. Mais force est de constater que tous ceux qui s’arrêtent pour penser arrivent à cette même conclusion.

La merdification des entreprises peut vous toucher de manière la plus imprévue sur un produit que vous appréciez tout particulièrement. C’est mon cas avec Komoot, un outil que j’utilise en permanence pour planifier mes longs trajets à vélo et que j’utilise parfois "on the road", quand je suis un peu paumé et que je veux un itinéraire sûr, mais rapide pour arriver rapidement à destination.

Pour celleux qui ne comprennent pas l’intérêt d’un GPS à vélo, Thierry Crouzet a justement pondu un billet détaillant comment cet accessoire change la pratique du cyclisme.

Mais voilà, Komoot, startup allemande qui se présentait comme un champion de la promotion des voyages à vélo, avec des fondateurs qui promettaient de ne jamais vendre leur bébé a été vendu à un fond d’investissement réputé pour merdifier tout ce qu’il rachète.

Je n’en veux pas aux fondateurs. Je sais bien qu’à partir d’une certaine somme, on remet tous en question nos promesses. Les fondateurs de Whatsapp souhaitaient, à la base, fortement protéger la vie privée de leurs utilisateurs. Ils ont néanmoins vendu leur application à Facebook, car, de leurs propres aveux, on accepte certains compromis à partir d’une certaine somme.

Heureusement, des solutions libres se profilent comme l’excellent Cartes.app qui a pris le problème à bras le corps.

Il manque encore la possibilité d’envoyer facilement un itinéraire vers mon GPS de vélo pour que ce soit utilisable au quotidien, mais le symbole est clair : la dépendance envers des produits merdifiés n’est pas une fatalité !

De la nécessité du logiciel libre

Comme le démontre Gee, les ajouts de fonctionnalités non indispensables ne sont pas neutres. Elles accroissent considérablement le risque de panne et de problème.

Cette simplification ne peut, par essence, que passer par le logiciel libre qui force à la modularité. Liorel donne un exemple très parlant : à cause de sa complexité, Microsoft Excell utilisera pour toujours le calendrier julien. Contrairement à LibreOffice, qui utilise l’actuel calendrier grégorien.

Simplification, liberté, ralentissement, décroissance de notre consommation ne sont que les faces d’une même forme de résistance, d’une même conscientisation de la vie dans sa globalité.

Ralentir et prendre du recul. C’est d’ailleurs ce que m’a violemment offert Chris Brannons, avec son dernier post sur sa capsule Gemini. Et quand je dis le dernier…

Barring unforeseen circumstances or unexpected changes, my last day on earth will be June 13th, 2025.

Chris avait 46 ans et il a pris le temps d’écrire le comment et le pourquoi de sa procédure d’euthanasie. Après ce post, il a pris le temps de répondre à mes emails alors que je l’encourageais à ne pas le faire.

Le symbole du vélo

On ne peut pas s’en foutre. On ne peut pas s’indigner. Il faut alors, avec les quelques millions de secondes qui nous reste à vivre, agir. Agir en faisant ce que l’on pense être le mieux pour soi-même, le mieux pour nos enfants, le mieux pour l’humanité.

Comme rouler à vélo !

Et tant pis si ça ne change rien. Et tant pis si ça nous fait paraître étrange aux yeux de certains. Et tant pis si ça a certains désavantages. Faire du vélo, c’est entrer en résistance !

Symbole de liberté, de simplification, d’indépendance et pourtant extrêmement technologique, le vélo n’a jamais été aussi politique. Comme le souligne Klaus-Gerd Giesen, le Bikepunk est philosophique et politique !

Cela m’amuse d’ailleurs beaucoup quand on présente l’univers de Bikepunk comme un monde d’où a disparu la technologie. Parce que le vélo ce n’est pas de la technologie peut-être ?

D’ailleurs, si vous n’avez pas encore le bouquin, il ne vous reste qu’à courir faire coucou à votre libraire préféré·e et entrer en résistance !

La photo d’illustration m’a été envoyée par Julien Ursini et est sous CC-By. Plongé dans la lecture de Bikepunk, il a été saisi de découvrir ce cadre de vélo rouillé, debout dans le lit de la rivière Bléone, comme un acte de résistance symbolique. Je ne pouvais rêver meilleure illustration pour ce billet.

Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) !

Recevez directement par mail mes écrits en français et en anglais. Votre adresse ne sera jamais partagée. Vous pouvez également utiliser mon flux RSS francophone ou le flux RSS complet.


Permalinks:
https://ploum.net/2025-08-26-medailles-et-resistance.html
gemini://ploum.net/2025-08-26-medailles-et-resistance.gmi